On le sait, Jésus
apparaît dans le coran. Il importe peu, dans un premier temps, d’en connaître
les traits distinctifs, il s’y trouve et même, chose rare pour un personnage
coranique, il y parle ! On sait aussi, et on le sait davantage encore,
qu’un personnage homonyme est la figure centrale d’une autre œuvre littéraire
religieuse à savoir les évangiles, aussi bien les canoniques que les
apocryphes. Entre le Jésus évangélique
et le Jésus coranique, il existe des similitudes mais bien plus de différences. Aucune de ses deux catégories œuvres (Coran –
évangiles), et bien que leur statut littéraire, leur genre, soit différents, ne
sont à proprement parler des œuvres historiques, et à ce titre le Coran encore
moins que les évangiles ; elles sont des œuvres théologiques. Aussi donc,
dans l’un comme dans l’autre cas, le Jésus qui est donné à voir est une figure
de foi ou de croyance, et non pas strictement une figure historique au sens où
nous aurions affaire à une biographie scientifique. Toujours est-il que dans le cas des évangiles, on ne peut pas
opposer de manière trop rigide, le Jésus de la foi et celui de l’histoire, car
si les évangiles ont d’abord une visée théologique, il n’en demeure pas moins
vrai que d’une façon ou d’une autre il s’appuie sur une historicité factuelle
(cfr saint Luc). Ce n’est pas le cas du
tout dans le Coran où l’historicité factuelle n’a aucune utilité, n’intervient
jamais dans la démonstration théologique. Comme on le verra plus loin, la structure
même du Coran, empêche une quelconque temporalité historique à se manifester.
Si le Jésus évangélique s’inscrit dans le temps des hommes, celui du Coran est
intemporel. La première implication est la suivante, si l’on s’en tient
strictement au Coran, la figure de Jésus (Issa, en arabe) est purement et
simplement une figure de « foi », elle s’impose à la croyance et ne
repose sur aucun élément réel. Tout
laisse penser, pour que la figure d’Issa soit acceptée et crue, que la « foi »
coranique suppose une manifestation qui la précède où l’on retrouverait un
ancrage historique. On ne voit pas quelle pourrait être cette manifestation, si
ce n’est les évangiles précisément. Je veux dire que pour comprendre Issa il
faut d’abord savoir, au moins confusément, qu’il y a eu un Jésus. Il est donc en toute logique, théologique, et
littéraire aussi bien, d’admettre comme une évidence qu’il y a eu une influence
des évangiles – canoniques et apocryphes – sur le Coran et, comme on le verra,
que cette influence porte un coup à la nature supposée de celui-ci. Avant d’apparaître comme une figure
coranique, le Jésus évangélique, le Jésus chrétien donc, n’était pas étranger à
l’Arabie préislamique. Ce Jésus en
passant dans le Coran est devenu Issa et
c’est de lui que nous allons tenter d’établir le portrait avant que d’en venir
à des considérations plus théologiques à propos de la présence de ce personnage,
figure majeure de l’islam, dans le Coran. Mais avant, il faut dire quelques
mots sur le livre lui-même.
Il n’est pas inutile
donc de rappeler certains faits et notions à propos du Coran lui-même. Mahomet,
prédicateur monothéiste meurt en 632. Vers
652, le Calife Otman fait détruire toutes les versions des
« révélations » mahométanes circulant pour en compiler une
unique : le Coran était né. La compilation est définitive (certains
auteurs situent la compilation définitive bien plus tard : peu importe, à
vrai dire, puisque de toute façon compilation et synthèse il y eu) et se
présente comme une collection, sans ordre chronologique, de
« révélations » dictées par l’Ange Gabriel au « prophète ».
Ainsi, d’emblée, le livre de l’islam apparaît dans une œuvre où la temporalité
n’a aucune importance ce qui, aux yeux des fidèles musulmans, accentue son
caractère d’éternité : passé, présent, futur, y sont mélangés, présentés,
pour ainsi dire, du point de vue de l’éternité de Dieu. Ceci n’est que le
résultat de la disposition en sourates, de la plus grande à la plus petite, et
ne procède en rien, ni d’un vouloir divin, ni même d’une volonté de
Mahomet. Donc l’aspect formel,
aléatoire, du Coran accentue son aspect dogmatique. De ce point de vue, il est
la parole même de Dieu, la dictée que le « médium » récite – Coran,
veut dire d’ailleurs récitation – et le livre matériel n’est, dans l’islam le
plus orthodoxe, qu’une image du Coran Incréé. Cette doctrine du Coran Incréé ne
va pas sans poser des questions d’ordre métaphysique et théologique, nous y
reviendrons plus bas. Qu’il suffise de dire que le Coran matériel, la
révélation reçue par Mahomet, est le
reflet, la copie conforme, d’un Coran non fait de main d’hommes. Rien, dans la
révélation islamique n’indiquait qu’il fallut un livre matériel, le livre est
advenu, et le livre fut investi
considérablement (dogme de l’inimitabilité du Coran : œuvre
parfaite dans son fond et sa forme), et avec lui sa langue, parce qu’il
devenait la figure palpable du Livre éternel. L’aspect formel du livre entraina
un travail d’interprétation : l’ijtihad, travail qui fût arrêté (fermeture
de la porte de l’ijtihad) dans le sunnisme au XIe.
En conclusion, le Coran
n’est pas reçu comme la Bible l’est. Celle-ci est une bibliothèque composée de
livre de différents styles et ayant eu divers auteurs. Elle est écrite, pour la théologie juive et
chrétienne, sous inspiration, ce qui n’est pas la même chose qu’une dictée
directe. Elle nécessite donc un travail d’interprétation – exégèse – qui depuis
toujours, sous divers formes, ne cesse d’être fait. Enfin, il n’existe pas de modèle éternel de
la Bible, aucune Bible Incréée, en revanche, mais nous y reviendrons, il existe
bien une Parole Incréée de Dieu.