Ce
qui suivra s’inspire grandement et librement de l’hypothèse mimétique de René
Girard. Pour cet auteur, on le sait,
toute l’expérience humaine est sous l’emprise du mimétisme. Non seulement les
rapports « interdividuels », la culture ou les cultures, mais aussi
et peut-être surtout la psychologie profonde des sujets. Dans l’organisation mimétique
humaine, le désir occupe une place prépondérance et est comme sa clef de voûte.
Pour le dire de but en blanc : chez René Girard, il n’existe pas de désir spontané,
de désir autonome, aucun désir qui n’ait son médiateur, c'est-à-dire, un autre désirant qui
vous indique – par de multiples voies – ce que vous devez désirer ou plutôt qui
apparaît pour vous comme l’index signalant à votre désir l’objet qu'il doit convoiter. Girard
se place donc à l’opposé d’une certaine psychanalyse et surtout d’un courant
moderne romantique qui croit, et tient, à la spontanéité du désir, à son
caractère absolument personnel, autonome. Cette position « romantique »
est un mensonge, une illusion, une méconnaissance ; méconnaissance indispensable
au bon fonctionnement du désir mimétique. En effet, dés que le désir mimétique
est révélé, il perd de sa force et ne peut plus fonctionner comme désir
métaphysique. L’adjectif « métaphysique » est l’autre qualificatif
pour désigner le désir mimétique en insistant sur le but ultime qu’il poursuit :
ressembler au médiateur du désir, posséder, non pas tant l’objet du désir, que
l’être même du médiateur, sujet désirant lui-aussi. Le désir mimétique procède
donc comme une mise en abîme infernale où tout opère en miroir paradoxal. Dans cette mécanique, tout le monde vit du
mensonge de l’autonomie des désirs multiples.
Il
y a deux types de médiations du désir – et une troisième dont je ne parlerai pas
ici. Tout d’abord la médiation dite externe. Il s’agit de celle où le médiateur
occupe une place lointaine, dans l’espace ou le temps, par rapport au sujet
désirant. C’est le cas, par exemple, de Dom Quichotte qui prend pour modèle
Amadis de Gaule. L’autre médiation est la médiation interne, dans ce cas, le
médiateur occupe une place de proximité avec le sujet désirant. Ce type de
médiation, si elle n’est pas vécue comme telle, si, au contraire, elle est
vécue dans la méconnaissance, engendre une adulation et une rivalité, déclinées
en d’autres passions : dégoût et fascination, attirance et répulsion, etc.
toutes choses ressemblant à une double injonction « sois comme moi/ne
sois pas comme moi » qui produit de la violence et de la folie – ce qui
est une forme de violence.
Voilà,
brossée rapidement, l’un des volets de l’hypothèse mimétique girardienne. Elle
est intéressante, il me semble, pour comprendre les enjeux cachés, méconnus, de
la revendication de la PMA et de la GPA par les couples de même sexe. Le désir
d’enfant est problématique, comme tout désir. Il y a sans doute un désir « naturel »
d’enfant de façon analogue au désir naturel de voir Dieu. Une des spécificité de ce désir d’enfant
est lié ou relié à une activité sexuelle. Il se confond, mais ne s’identifie
pas, avec un désir sexuel. Il est une activité sexuelle – appelons-là « naturelle »
- qui donne corps – or cas pathologiques – au désir d’enfant. Autrement dit, il
est une activité sexuelle naturelle qui peut conduire, naturellement, à la
conception et satisfaire le désir d’enfant. Cette activité est celle qui peut
avoir lieu entre un homme et une femme. L’activité sexuelle entre personnes du
même sexe ne peut conduire, en aucun cas, à cette conception naturelle et, en
conséquence, à la satisfaction, naturelle, du désir d’enfant.
Dans
la PMA, la GPA, nous sommes en présence d’un contournement de la conception
naturelle, exclusivité du couple basé sur la différenciation
sexuelle, grâce à la technique médicale.
Par ce type de conception assistée techniquement, le couple de même sexe, peut
satisfaire, de façon non naturelle, un désir d’enfant. Plus encore : avant
même de le satisfaire, il peut se permettre de l’avoir et s’il l’a c’est par la
médiation interne du couple différentié sexuellement. Ce que je veux dire, c’est que le
modèle du couple « homosexuel » est le couple « hétérosexuel ».
Il était le modèle dans la revendication d’un mariage semblable, un seul
mariage pour tous. Il le demeure dans cette revendication égalitariste à l’enfant.
Il
s’en suit que dans cette revendication ce n’est pas tant l’enfant qui importe (
enfant qui est ici « objet du désir » ) mais celui d’égaler, dans un
premier temps, le « père » ou la « mère » naturels, et,
dans un second temps, de rivaliser dans la paternité avec les parents de type « naturel »
selon la ligne : le couple homosexuel est un couple comme les autre, il
est égal à l’autre, il peut procréer comme l’autre, il peut être parents comme
l’autre, il fera de meilleurs parents que l’autre, car dans son cas, l’enfant
est vraiment voulu d’amour, etc.
Or
c’est précisément ce désir et son contexte mimétique qu’il faut interroger. Il
y a dans la revendication LGBT à la PMA - par le corps des femmes -, à la GPA - sans
le corps des hommes -(en réalité, dans la GPA et la PMA, on peut exclure
absolument l’homme, puisque seul un utérus est – encore – biologiquement nécessaire.
Dans le cas de lesbiennes, elles disposent de deux utérus, dans le cas d’hommes
homosexuels, il faut qu’ils aillent trouver un utérus ailleurs. Le corps de la
femme, est seul indispensable, pour le moment.) un exigence à être semblable au
couple hétérosexuel mue par le sentiment d’être lésé, d’être défaillant. Il
devient donc normal pour le couple gay de réclamer tout ce qui appartient au
couple hétérosexuel, du mariage à la paternité. L’enfant, dans ce contexte, n’est
qu’un objet – d’amour sans doute, mais une voiture peut l’être aussi ) un objet
dont la possession – rémunérée – fera de vous un « père » ou une « mère »
vous rendant égal aux parents naturels, voire meilleur qu’eux. Le désir d’enfant
de la part d’un couple homosexuel, incapable, en définitive de s’en tenir à la
logique « naturelle » de l’homosexualité, aux limites qu’elle impose,
est un désir mimétique qui fatalement abouti à une expression violente. La
première victime de cette violence est l’enfant qui, tout objet qu’il soit dans
cette mécanique, est avant tout un sujet auquel on ne demandera pas si son
désir - sacro-saint désir - était ou non d’avoir deux mères ou deux pères et de
se construire en référence à cette exclusivité sexuelle. Il s’en suivra une
violence exercée vis-à-vis des couples hétérosexuels, dont le mode de
procréation « naturelle » sera dévalorisée comme étant trop « naturelle »
justement. Il en découlera une violence contre les gays eux-mêmes qui seront
regardés comme des usurpateurs et surtout contre les hommes qui s’effaceront
dans cette folie conceptionniste.
Dans
ce jeu de rivalités en miroir, le couple gay se trouvera toujours insatisfait
et cela même si la technique médicale peut lui donner, un instant, l’illusion qu’il
a enfin la même stature naturelle, le même prestige que le couple naturel. Or
le couple homosexuel souffre toujours d’un certain manque inhérent à l’homosexualité
elle-même. Ce couple sait bien, au fond, que sans la fiction juridique, sans la
technique procréatrice, il n’est pas égal au couple hétérosexuel. Il sait bien
que son désir de paternité ou de maternité est un désir d’être, un appel à
être, à être autant qu’un autre, qu’une autre, que cet autre qu’il croit supérieur à lui. Au final, c’est
toute la société qui s’engage dans la rivalité mimétique par ce biais de la
procréation technologiquement assistée – en dehors de toute nécessité
thérapeutique – et dans l’évacuation de l’éthique. On pourra, peut-être, un
jour voir des couples hétérosexuels faire appel aux techniques procréatrices
pour des raisons économiques, esthétiques, professionnelles, etc. à l’imitation des
couples gays.
Pour
terminer, je songe ici au jugement de Salomon dans lequel l’enjeu était aussi un enfant :
un enfant que la « fausse » mère était prête à sacrifier pour rester
mère tandis que la « vraie » mère se sacrifiait pour sauver son
enfant du partage. Le caractère foncièrement pervers de la PMA et GPA réside précisément
dans revendication à l’enfant au mépris de l’enfant. On peut souffrir de son
désir, on peut souffrir de la perversion de son désir et plus le sujet est
mimétique plus cette souffrance, vraie souffrance, est aiguë. L’apaisement de
cette souffrance n’est certainement pas dans la course à le revendication en
pointant du doigt celui qui a ce que je n’ai pas, ce que je crois avoir été,
injustement, dépourvu. L’apaisement à une souffrance vient de l’acceptation
consciente, voulue de ses limites, de celles que la nature ou l’histoire nous
ont imposées. Une personne homosexuelle ne peut procréer et même avec le secours de la technique - qui tient lieu d'éthique suffisante - l'engendrement n'est pas une procréation.