lundi 2 septembre 2019

Le mimétisme procréatif.

Ce qui suivra s’inspire grandement et librement de l’hypothèse mimétique de René Girard.  Pour cet auteur, on le sait, toute l’expérience humaine est sous l’emprise du mimétisme. Non seulement les rapports « interdividuels », la culture ou les cultures, mais aussi et peut-être surtout la psychologie profonde des sujets. Dans l’organisation mimétique humaine, le désir occupe une place prépondérance et est comme sa clef de voûte. Pour le dire de but en blanc : chez René Girard, il n’existe pas de désir spontané, de désir autonome, aucun désir qui n’ait son médiateur, c'est-à-dire, un autre désirant qui vous indique – par de multiples voies – ce que vous devez désirer ou plutôt qui apparaît pour vous comme l’index signalant à votre désir l’objet qu'il doit convoiter. Girard se place donc à l’opposé d’une certaine psychanalyse et surtout d’un courant moderne romantique qui croit, et tient, à la spontanéité du désir, à son caractère absolument personnel, autonome. Cette position « romantique » est un mensonge, une illusion, une méconnaissance ; méconnaissance indispensable au bon fonctionnement du désir mimétique. En effet, dés que le désir mimétique est révélé, il perd de sa force et ne peut plus fonctionner comme désir métaphysique. L’adjectif « métaphysique » est l’autre qualificatif pour désigner le désir mimétique en insistant sur le but ultime qu’il poursuit : ressembler au médiateur du désir, posséder, non pas tant l’objet du désir, que l’être même du médiateur, sujet désirant lui-aussi. Le désir mimétique procède donc comme une mise en abîme infernale où tout opère en miroir paradoxal. Dans cette mécanique, tout le monde vit du mensonge de l’autonomie des désirs multiples.
Il y a deux types de médiations du désir – et une troisième dont je ne parlerai pas ici. Tout d’abord la médiation dite externe. Il s’agit de celle où le médiateur occupe une place lointaine, dans l’espace ou le temps, par rapport au sujet désirant. C’est le cas, par exemple, de Dom Quichotte qui prend pour modèle Amadis de Gaule. L’autre médiation est la médiation interne, dans ce cas, le médiateur occupe une place de proximité avec le sujet désirant. Ce type de médiation, si elle n’est pas vécue comme telle, si, au contraire, elle est vécue dans la méconnaissance, engendre une adulation et une rivalité, déclinées en d’autres passions : dégoût et fascination, attirance et répulsion, etc. toutes choses ressemblant à une double injonction «  sois comme moi/ne sois pas comme moi » qui produit de la violence et de la folie – ce qui est une forme de violence.
Voilà, brossée rapidement, l’un des volets de l’hypothèse mimétique girardienne. Elle est intéressante, il me semble, pour comprendre les enjeux cachés, méconnus, de la revendication de la PMA et de la GPA par les couples de même sexe. Le désir d’enfant est problématique, comme tout désir. Il y a sans doute un désir « naturel » d’enfant de façon analogue au désir naturel de voir Dieu. Une des spécificité de ce désir d’enfant est lié ou relié à une activité sexuelle. Il se confond, mais ne s’identifie pas, avec un désir sexuel. Il est une activité sexuelle – appelons-là « naturelle » - qui donne corps – or cas pathologiques – au désir d’enfant. Autrement dit, il est une activité sexuelle naturelle qui peut conduire, naturellement, à la conception et satisfaire le désir d’enfant. Cette activité est celle qui peut avoir lieu entre un homme et une femme. L’activité sexuelle entre personnes du même sexe ne peut conduire, en aucun cas, à cette conception naturelle et, en conséquence, à la satisfaction, naturelle, du désir d’enfant.
Dans la PMA, la GPA, nous sommes en présence d’un contournement de la conception naturelle, exclusivité du couple basé sur la différenciation sexuelle, grâce à la technique médicale. Par ce type de conception assistée techniquement, le couple de même sexe, peut satisfaire, de façon non naturelle, un désir d’enfant. Plus encore : avant même de le satisfaire, il peut se permettre de l’avoir et s’il l’a c’est par la médiation interne du couple différentié sexuellement. Ce que je veux dire, c’est que le modèle du couple « homosexuel » est le couple « hétérosexuel ». Il était le modèle dans la revendication d’un mariage semblable, un seul mariage pour tous. Il le demeure dans cette revendication égalitariste à l’enfant.
Il s’en suit que dans cette revendication ce n’est pas tant l’enfant qui importe ( enfant qui est ici « objet du désir » ) mais celui d’égaler, dans un premier temps, le « père » ou la « mère » naturels, et, dans un second temps, de rivaliser dans la paternité avec les parents de type « naturel » selon la ligne : le couple homosexuel est un couple comme les autre, il est égal à l’autre, il peut procréer comme l’autre, il peut être parents comme l’autre, il fera de meilleurs parents que l’autre, car dans son cas, l’enfant est vraiment voulu d’amour, etc.
Or c’est précisément ce désir et son contexte mimétique qu’il faut interroger. Il y a dans la revendication LGBT à la PMA - par le corps des femmes -, à la GPA  - sans le corps des hommes -(en réalité, dans la GPA et la PMA, on peut exclure absolument l’homme, puisque seul un utérus est – encore – biologiquement nécessaire. Dans le cas de lesbiennes, elles disposent de deux utérus, dans le cas d’hommes homosexuels, il faut qu’ils aillent trouver un utérus ailleurs. Le corps de la femme, est seul indispensable, pour le moment.) un exigence à être semblable au couple hétérosexuel mue par le sentiment d’être lésé, d’être défaillant. Il devient donc normal pour le couple gay de réclamer tout ce qui appartient au couple hétérosexuel, du mariage à la paternité. L’enfant, dans ce contexte, n’est qu’un objet – d’amour sans doute, mais une voiture peut l’être aussi ) un objet dont la possession – rémunérée – fera de vous un « père » ou une « mère » vous rendant égal aux parents naturels, voire meilleur qu’eux. Le désir d’enfant de la part d’un couple homosexuel, incapable, en définitive de s’en tenir à la logique « naturelle » de l’homosexualité, aux limites qu’elle impose, est un désir mimétique qui fatalement abouti à une expression violente. La première victime de cette violence est l’enfant qui, tout objet qu’il soit dans cette mécanique, est avant tout un sujet auquel on ne demandera pas si son désir - sacro-saint désir - était ou non d’avoir deux mères ou deux pères et de se construire en référence à cette exclusivité sexuelle. Il s’en suivra une violence exercée vis-à-vis des couples hétérosexuels, dont le mode de procréation « naturelle » sera dévalorisée comme étant trop « naturelle » justement. Il en découlera une violence contre les gays eux-mêmes qui seront regardés comme des usurpateurs et surtout contre les hommes qui s’effaceront dans cette folie conceptionniste.
Dans ce jeu de rivalités en miroir, le couple gay se trouvera toujours insatisfait et cela même si la technique médicale peut lui donner, un instant, l’illusion qu’il a enfin la même stature naturelle, le même prestige que le couple naturel. Or le couple homosexuel souffre toujours d’un certain manque inhérent à l’homosexualité elle-même. Ce couple sait bien, au fond, que sans la fiction juridique, sans la technique procréatrice, il n’est pas égal au couple hétérosexuel. Il sait bien que son désir de paternité ou de maternité est un désir d’être, un appel à être, à être autant qu’un autre, qu’une autre, que cet autre  qu’il croit supérieur à lui. Au final, c’est toute la société qui s’engage dans la rivalité mimétique par ce biais de la procréation technologiquement assistée – en dehors de toute nécessité thérapeutique – et dans l’évacuation de l’éthique. On pourra, peut-être, un jour voir des couples hétérosexuels faire appel aux techniques procréatrices pour des raisons économiques, esthétiques, professionnelles, etc. à l’imitation des couples gays. 




Pour terminer, je songe ici au jugement de Salomon dans  lequel l’enjeu était aussi un enfant : un enfant que la « fausse » mère était prête à sacrifier pour rester mère tandis que la « vraie » mère se sacrifiait pour sauver son enfant du partage. Le caractère foncièrement pervers de la PMA et GPA réside précisément dans revendication à l’enfant au mépris de l’enfant. On peut souffrir de son désir, on peut souffrir de la perversion de son désir et plus le sujet est mimétique plus cette souffrance, vraie souffrance, est aiguë. L’apaisement de cette souffrance n’est certainement pas dans la course à le revendication en pointant du doigt celui qui a ce que je n’ai pas, ce que je crois avoir été, injustement, dépourvu. L’apaisement à une souffrance vient de l’acceptation consciente, voulue de ses limites, de celles que la nature ou l’histoire nous ont imposées. Une personne homosexuelle ne peut procréer et même avec le secours de la technique - qui tient lieu d'éthique suffisante - l'engendrement n'est pas une procréation.