samedi 22 septembre 2018

De la peine de mort revue et corrigée.



Surtout ne rien dire quand tout le monde parle. Attendre et, après que le flot médiatique est passé, tenter de prendre la parole. 
 Catherine de Sienne avait beaucoup prié pour un condamné à mort. Demandant qu'il puisse mourir apaisé et dans l'amitié de Dieu. L'histoire raconte qu'elle alla jusqu'à tenir sa tête au moment suprême.

Le pape a fait modifier le catéchisme en ce qui concerne la peine de mort pour en faire, pour l’Église, quelque chose d’irrecevable, désormais, au regard de la dignité humaine. Il s’agit là d’une inflexion caractérisée de la doctrine traditionnelle catholique concernant ce sujet. Si elle ne la promouvait pas – c’était même le contraire, l’Église ayant eu toujours horreur du sang – elle la justifiait et cette justification valait encadrement d’une pratique, et de la justice dont elle dépendait, dans une société chrétienne. Reste que l’on se demande si la nouveauté, introduite par le pape François, et qui apparait comme une rupture, est un développement de la doctrine traditionnelle ou un changement. Si cela devait être un changement, cela n’irait pas sans poser quelques problèmes théologiques à l’instar que ce qui a déjà pu se passer pour Amoris Laetitia . Si, au contraire, il s'agit bel et bien de l'aboutissement d'un développement, la chose est dans l'ordre catholique des choses.  
La modification apportée au catéchisme est justifiée par la notion de « dignité humaine ». Il se trouve que cette notion n’est pas traditionnelle, en tout cas pas dans son acception moderne, et si elle est devenue classique ce n’est que dans un mouvement théologique mettant l’accent sur les droits de l’homme où d’autres considérations naturelles. Si ces considérations naturelles ne sont pas, par elles-mêmes, indignes d’intérêt, loin s’en faut, pour le christianisme elles ne sauraient prévaloir, d’aucune manière, sur les considérations surnaturelles. Or, pour l’homme chrétien, sa dignité est d’abord et avant tout sa fin surnaturelle ; pour l’homme chrétien, qui le sait, mais aussi pour tout homme, même ne le sachant pas : le fondement de la dignité humaine est d’être fait à l’image de Dieu et d’être destiné au salut (création/rédemption). La doctrine traditionnelle sur la peine de mort, formulée excellemment par saint Thomas d’Aquin, n’ignorait pas cela et, l’on peut dire, qu’une grande partie du raisonnement du Docteur Angélique est fondé sur le règne des fins pour la personne. 
Mais une fois dit cela, il faut revenir aux considérations naturelles en ce qui concerne la peine de mort. En effet, la peine de mort est une œuvre de la justice, exercée, dans le meilleur des cas, dans le cadre d’un juste jugement. Il faut, je crois, s’interroger sur ce qu’est la justice. Saint Thomas en parle très bien dans ses justifications de la peine de mort, mais, il me semble, qu’il faut prendre en compte des apports extérieurs, et plus récents, pour pouvoir comprendre ce qu’est le système judiciaire. Car, finalement, une chose est la justice comme vertu et autre chose, le système judiciaire. En s’inspirant de René Girard, on peut dire que cette modification est un des aboutissements - sans doute inconscient - d’une conception non-sacrificielle de la religion en mettant le primat sur la miséricorde.  
Pour René Girard, en effet, le système judiciaire, la justice donc, prend le relais de la violence groupale chaotique et allant toujours vers une montée aux extrêmes par la vengeance. Si l’État, ou la société, applique une quelconque peine d’ordre judiciaire, c’est en raison d’un perfectionnement du système sacrificiel – même système qui a donné naissance au sacré. L’État, par le bras de la justice, hérite légitimement de l’action violente et lui seul est désormais habilité à tuer sans faire entrer dans le cycle de la vengeance. 
La violence légale est ainsi, paradoxalement, l’héritière « pacifique » de la violence groupale, qui était sans fin et mettait la vie du groupe en péril. En déléguant la violence, qui devient légitime, à la justice, on met fin au cycle de la vengeance mimétique. Le christianisme introduit un changement radical par rapport à la violence sacrificielle, c’est indéniablement de révélation. C’est donc à une critique résolue de la violence sacrée que conduit le christianisme. Reste à savoir maintenant, si le christianisme introduit un changement dans la perception l’archaïque de la justice – entendue comme système judiciaire, seul légitimement habilité à exercer une violence ? Il semble bien que oui. On peut signaler, tout d’abord, la critique ouverte et directe du Christ adressée à la loi du talion – qui déjà, en son temps, était un progrès judiciaire – « on vous a dit … », « Je vous dis... » 


Il faut aussi considérer l’épisode de la femme adultère. « Moïse nous a dit de lapider ce genre de femmes et toi que dis-tu ? » Cette référence à Moïse, fait penser à cette réponse de Jésus, à propos d’une autre question : « Moïse à prescrit cela à cause de votre dureté de cœur, mais à l’origine il n’en était pas ainsi ». Cette origine n’est rien d’autre que le cœur de Dieu et de son économie créatrice. Or l’on peut tout aussi bien dire, dans le cas de la femme adultère, que Moïse a prescrit cela à cause de la dureté de cœur mais qu’à l’origine il n’en était pas ainsi. C'est-à-dire que la loi telle que Moïse la reçoit ou la prescrit n’est pas d’origine. En ce qui regarde la loi, Jésus ne se réfère pas à Dieu, mais à Moïse, en revanche pour ce qui est de l’origine, Jésus fait référence au dessein de Dieu. Si Jésus reconnait à Moise la capacité de légiférer légitimement, c’est à cause d’un état de fait, naturel, pécheur, que Jésus appelle la dureté de cœur (dans la scène de la femme adultère, il ne dit rien de cela, mais on peut je crois le sous-entendre). Jésus, par son silence, sa gestuelle et les paroles adressées à la femme, introduit effectivement un changement dans la perception du système judiciaire légitime – le lévitique !- juif. Dans l’Ancien Testament, les peines prévues par la loi concernent évidemment les coupables. (Il y a au moins deux types de coupables : ceux que les termes d’une disposition légale rendent coupables et ceux qui le sont soit au regard de la loi naturelle, soit au regard de la loi de la grâce. Pour ces derniers, cela ne regarde pas le système judiciaire d’État, mais uniquement le sacrement de réconciliation. Dans le premier cas, c’est la loi qui fait le coupable et ceux-ci ne le sont pas toujours absolument. Dans le cas de la femme adultère, elle est évidemment coupable selon les termes de la loi de Moïse et elle méritait, selon cette loi, la peine de mort. Elle l’est aussi au regard de la loi naturelle. Mais le Christ ne parle jamais en termes de culpabilité. Il ne la déclare pas coupable, ni d’ailleurs innocente. Il la fait sortir du cadre de la loi – elle et les autres – et la fait entrer dans celui de la grâce. Il la retire à la morale légaliste pour la faire entrer dans une morale "gracieuse", par la porte du péché. ( là où le péché abonde la grâce surabonde. ) « Moi non plus je ne te condamne pas, va et ne pèche plus » Pour Jésus, autrement dit pour Dieu, autrement dit pour le regard d’origine du Verbe créateur et rédempteur, la problématique n’est pas de savoir si la peine de mort est juste ou non, mais de donner à cette femme, et à ses détracteurs, la possibilité d’entrer dans le Monde Nouveau de la grâce. La femme n’est pas une coupable, mais une pécheresse en voie de salut. Et la femme a la vie sauve de deux façons, primo parce qu’elle n’est pas lapidée, secundo parce qu’elle peut désormais entrer dans la vie de la grâce. D’une certaine manière, dans cet épisode, Jésus renverse les valeurs du système judiciaire en faisant entrer tout le monde dans la sphère de la culpabilité mais pas dans celle qu’engendre la loi mais dans celle du rapport à la grâce. Il rompt le lien loi/péché. Il ne commente pas la loi, ne la dit pas juste ou injuste mais fait passer ses auditeurs dans un autre ordre des choses : où personne n’est sacrifié, où aucune violence n’est exercée. Il le fait par sa présence et par sa parole. Est-ce à dire que le système judiciaire est caduc ? Non, mais il est, en régime chrétien, sous l’influence lente mais profonde de la grâce. Aussi, désormais, toute réflexion sur la justice, les peines, la peine de mort, est prise en tension entre la pérennité, pratique, du système judiciaire et ce que l’ordre de la grâce, infusée, par l’Incarnation et la Rédemption, oblige à transformer. C’est ainsi que l’on a vu tout au long de l’histoire de l’Église des dispositions visant à contenir la violence et à la combattre (trêve de Dieu, par exemple, interdiction de la tauromachie et autres combats violents, etc…) C’est peut-être cette sage lenteur et cette sagesse lente que l’on voit à l’œuvre dans ce qui concerne la perception de la justice en général et de la peine de mort en particulier. Comme je le disais plus haut, il est évident que la réflexion chrétienne manifeste depuis toujours une certaine répugnance à la violence et même à la peine de mort. Saint Thomas lui-même, dans le Compendium, apporte une précision qui modère tout ce qu’il peut dire aussi bien dans la Somme Théologique que dans celle contre les Gentils. La dynamique catholique, finalement, a toujours été d’encadrer la pratique de la peine capitale. Jean-Paul II et Benoît XVI, sans rien changer à la théorie, pensaient que cette théorie ne s’appliquerait plus, car elle ne trouvait plus à s’appliquer selon plusieurs considérants, notamment le perfectionnement du système judiciaire et la dignité de la personne humaine, selon l’ordre naturel. Ces deux papes sont allés aussi loin qu’ils ont pu sans pour autant rompre avec la lettre de la doctrine traditionnelle. François rompt désormais avec la théorie elle-même et en qualifiant la peine de mort d’ « inadmissible » ou d’« inhumaine » semble critiquer la doctrine traditionnelle. Si l’on peut admettre qu’il y ait une évolution et même un développement, les termes mêmes utilisés par le pape François semblent vouloir manifester davantage un changement voire une rupture. C’est cette formulation et cette attitude qui pourrait être en somme problématique. Tout donne à penser que le pape veut se poser en rupture, au nom de la miséricorde, et il ne montre pas assez la continuité, l’évolution harmonieuse et le développement de la doctrine. En outre, en laçant, presque sans crier gare, des sujets aussi délicats, il monte contre lui une frange de catholiques, qui tiennent, peut être à tort aux formes,et qui forcément sont mécontents. Mais, il semblerait que cela lui soit parfaitement égal, voire que c’est l’un des effets souhaités « démasquer les tradis » de tous poils pour mieux apparaître comme réformateur. (Il faudrait aussi réfléchir sur le fait que Jésus est lui-même un condamné à la peine capitale etc.).