mardi 26 novembre 2013

Théologie et genre : éléments pour poser la question.

Il y a quelques temps déjà, j'avais mis en ligne ici-même deux articles sur la "théorie du genre". Ses plus fervents défenseurs assurent qu'elle n'existe pas, qu'elle ne serait qu'une espèce de fantasme né d'esprits craintifs et chagrins, que n'existent que les "études du genre". Or, comme je le disais, ce que l'on peut, à bon droit, appeler du nom général de "théorie" du genre, toute polymorphe qu'elle soit, comporte certes un pan prospectif  - les fameuses "études" - mais aussi un pan prescriptif tout aussi réel. Ce dernier volet est, bien souvent,  idéologique et suppose, donc en toute logique, ce que l'on appelle usuellement une "théorie" ou du moins des hypothèses, très théoriques, d'une pratique actuelle et future. 

Quoi qu'il en soit, les questions du genre, des genres, de la sexuation, de la sexualité, de la différence sexuelle sont posées. Elles le sont de plusieurs façons et selon plusieurs perspectives. Elle le sont selon des intérêts, des motifs variables. Le vocable, quelque peu ambigu et peu approprié, de "genre" sert de notion générique, précisément, à tout ce foisonnement, parfois bien flou et donnant souvent l'impression d'une machine de guerre un peu vaine. Vaine mais pas sans dangers, la vanité étant devenue le trébuchet de notre époque : on bombarde à coups de chimères boursouflées.

Dans ce qui va suivre, j'aimerais apporter un éclairage plus strictement théologique à cette question. Plus qu'une pensée construite, je me contenterai de donner des pistes de réflexion ; la chose mériterait un développement plus grand mais je ne suis pas en mesure de le faire.

Autant le dire tout de suite : l'idéologie, les préconçus et les présupposés, qui entretiennent les "gender studies" (GS) n'ont, a priori, que peu de rapports avec la théologie. S'ils la rencontrent, ce ne sera que sur un versant strictement sociologique, et pas même anthropologique. Pour qu'une certaine anthropologie théologique puisse rencontrer ce que l'on appelle ici, de façon indistincte, "études sur le genre", il faut faire à l'une et aux autres, une sérieuse réduction. Cette réduction consistera à abandonner tout aspect revendicateur de la part des "études sur le genre" et toute polémique de la part d'une approche théologique.

Si la théologie est essentiellement un discours sur Dieu, les théories ou "études du genre" sont des discours sur le conflit qui existe, ou qui est supposé exister, en matière de sexualité et des impératifs que celle-ci imprime, ou est censée imprimer dans le contexte d'une tension, réelle ou prétendue, entre la nature et la culture. Or ce conflit n'existe pour ainsi dire pas en théologie. Si quelque chose affleure d'une tension possible, elle n'est jamais posée, théologiquement, en termes de nature et de culture.
Les seules tensions théologiques, quelque peu analogues,  qui existent sont celles qui se posent entre la nature et de la grâce, tout d'abord, et, dans une perspective paulinienne, entre la grâce et la Loi, ensuite. Un seul élément est donc commun à la théologie et aux GS, celui de nature, et encore, cela n'est absolument pas garanti que "nature" ait dans l'un et l'autre cas la même extension. Pour ce qui est de la notion de "grâce", elle ne peut être, dans un souci de parallélisme arbitraire,  aucunement réduit à celle de "culture".  Dans une visée théologique, la "culture" est englobée dans la notion de "nature"; la première est un effet, un "accident", pour utiliser une catégorie thomiste, de la seconde celle-ci étant un donné plus essentiel : aucune culture sans une nature. Pour ce qui est de la notion de "Loi", la théologie propose une articulation complexe. La "Loi" est à la fois entée sur la "nature", l'une et l'autre ayant le même auteur à savoir Dieu. Loi et nature s'apposent à la grâce. Pour le dire rapidement, la loi et la nature ont quelque chose à voir avec le péché, ce à quoi la grâce réchappe, forcément. (Il est intéressant de noter que dans les "gender studies", la nature qui imposerait sa loi est, elle aussi, marquée d'opprobre, tandis que l'effort culturel pour en échapper et échapper aux stéréotypes qui prendraient leur source dans la nature, peut être lu en terme de grâce, de rachat, de rédemption, de libération, de salut. On peut donc déceler dans l'articulation théorique des GS des relents théologiques)



Reste donc, si l'on peut dire,  à définir la catégorie de nature et à la définir selon un point de vue théologique. Or rien n'est moins évident. La théologie catholique se situe à mi-chemin entre une critique radicale de la "nature" et un regard unilatéralement bienveillant  - type "bon-sauvage" - sur celle-ci. A vrai dire, elle est ce à quoi l'on n'échappe jamais, le donné fondamental et cela pour la raison, théologique, qu'elle est de création. Elle est à la fois le terme et l'espace, un contenant et le contenu.
La complexité du donné théologique à propos de cette catégorie de "nature" s'articule avec celui de "création". On ne saurait parler de "nature" sans parler aussi de "création". Or la notion théologique de "création" pose que toute réalité humaine - mais pas seulement - toute réalité hors de Dieu, autrement dit toute la réalité universelle, est établie dans une relation à l'unique principe qui échappe à la réalité, à la nature, à savoir  : Dieu. Pour le dire autrement, la création n'est rien d'autre que la relation qui lie Dieu au reste, faisant dépendre l'existence de ce reste, de l'existence de Dieu, tout en sachant que "existence" est pris ici  dans un rapport analogique, puisque, en vérité, il n'y a aucune commune mesure entre l'existence du réel et l'existence de Dieu. Pour parler strictement, quelque chose dans cette relation devrait être marqué de la négative, soit l'existence des choses, soit celle de Dieu. L'on pourrait dire avec vérité que les choses n'existent pas ou que c'est Dieu qui n'existe pas. La nature donc dans un premier temps est ce qui se distingue de Dieu, ce qui dans la relation au principe premier extra-mondain apparaît comme autre, mais qui tient son existence de lui.
La nature est donc envisagée comme reliée à Dieu et en même temps comme fondamentalement distincte de lui.
Davantage encore, les considérations sur le mal, physique et moral, conduisent les auteurs bibliques à postuler que cette relation "de création", telle qu'elle apparaît, est perturbée. La nature apparaît alors comme la conséquence d'une relation malmenée, torve et, en allant au plus loin,  une relation de laquelle le principe premier et causal est, d'une certaine façon, rejeté. Deux approches sont donc désormais possibles : soit considérer ou reconsidérer la nature dans sa dépendance avec le principe créateur, soit la considérer dans l'indépendance d'avec lui. Les deux attitudes ne sont d'ailleurs pas exclusives.

 Pour toute question morale - les GS ont des conséquences morales, si elles ne sont pas déjà morales dans leur principe -, le discours théologique fonctionne avec ce que les citations suivantes résument.

"La grâce ne supprime pas la nature, mais l'élève". Saint Thomas d'Aquin Ia, q. 1, a. 8

"Aime et fais ce que tu veux " Saint Augustin. Commentaire de la première épître de Jean, traité VII, 8.

("Une fois pour toutes t’est donc donné ce commandement concis : Aime, et ce que tu veux, fais-le ! Si tu te tais, tais-toi par amour ; si tu parles, parle par amour ; si tu corriges, corrige par amour ; si tu pardonnes, pardonne par amour. Aie au fond du cœur la racine de l’amour ; de cette racine ne peut rien sortir que de bon"
cfr Saint Jean  " Voici ce qu’est l’amour. Voici comment s’est manifesté l’amour de Dieu pour nous : il a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui "et "Voici ce qu’est l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés le premier " (1 Jn 4, 9-10)


"Tout m'est permis, mais tout ne m'est pas profitable tout m'est permis, mais je ne me laisserai asservir par quoi que ce soit."  saint Paul.1 Corinthiens 6, v.12-20


Fais donc ce que tu veux, mais impératif premier  : "aime". Toute l'agir moral, tout le dynamisme éthique, est ramenée à cet impératif "aime". Mais surgit cette interrogation : comment "aimer" peut-il être un impératif ? Comment peut-on ordonner d'aimer ? En réalité, "aimer" échappe de toute part à l'impératif, il est de telle "nature", qu'il entraîne "aimer" ailleurs. Là, précisément, où il ne se trouve pas ou plus. La morale que l’Évangile inspire - littéralement, inspire - est donc une morale dont le fondement, soudain, se trouve en un lieu qui précisément ne peut-être localisable. "Aimer" est toujours ailleurs; "aimer" vous fait sortir de l'ici et du maintenant avec toutes leurs certitudes pour vous convier à vous déplacer ailleurs, là-bas et à toute heure. Autrement dit, ce qui fonde l'agir moral (fais ce que tu veux), c'est la liberté elle-même appelée par le "aime" impératif - non-impératif, fondement non-stable mais dynamique. On pourrait dire que "aimer" est de l'ordre de l'extase, mais cela ne suffirait pas. L'extase, en effet, risque d'être perçue encore comme un des versants d'un égotisme mystique. L' amour dont il est question dans ce "aime", n'est pas de cet ordre. Où alors si, et seulement si, l'on considère l'extase comme une véritable sortie de soi lue d'une manière non exclusivement psychologisante : l'extase chrétienne me pousse hors de moi, ne déboute de moi, ne jette dans le monde, me livre à l'Autre et aux autres qui sont sa plus sûre figure.

C'est le même son que l'on retrouve dans l'adage paulinien "Tout m'est permis, mais tout ne m'est pas profitable". Il est remarquable qu'ici aussi, on dévoile l'universalité de la liberté. Le "tout m'est permis" sonne avec le "fais ce que tu veux". Le "aime" lui est du côté du "tout ne m'est pas profitable", puisque ce qui opère la discrimination dans ce tout qui ne m'est pas profitable, c'est justement le "aime". Qu'est-ce qui peut faire la différence entre ce qui m'est profitable ou non ? Ceci ou cela m'est profitable au regard de quoi ? Justement, c'est l'amour. Reste donc à définir ce qu'est l'amour dans cette perspective. Les éléments de réponse se trouvent épars dans le Nouveau Testament, et chez saint Jean en particulier.  Je ne dirai que ceci : l'amour, dans sa définition chrétienne, précède l'existence. On pourrait dire en parodiant Descartes : "J'aime donc je suis" même si cette formulation suppose l'existence d'un amour premier, le "j'aime" n'est pas premier. : "ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés le premier". Autrement dire, l'amour trouve son fondement dans l'existence de Dieu, pour qui aimer et être sont une seule et même chose.

Il semblerait que l'adage thomiste soit assez éloigné des préoccupations soulevées jusqu'ici. Et pourtant, si la morale est du côté de la nature, et si son fondement est du côté de la grâce, l'adage thomiste peut être lu à la lumière de la citation paulinienne. En fait, la morale chrétienne n'est pas du côté de la nature, puisque nous savons que son fondement, son "impératif" est ailleurs, cependant un agir est toujours un agir dans les cadres naturels même si ceux-ci sont informés postérieurement par la grâce. En vérité, la morale chrétienne est donc "élevée" par la grâce, elle est cette nature graciée, gracieuse, mais ni la nature réduite à ses propres effets (hérésie pélagienne), ni sa pure et simple suppression (toutes les hérésies spiritualistes et "mysticistes". La théorie du genre est une espèce de mystique de la "grâce" pure sans les contraintes de la nature.Elle s'oppose à un pélagianisme souvent fantasmé qui affirmerait qu'il n'existe que la nature et que cette nature ordonne, commande, dicte et formate. Au salut pélagien par les forces de la nature seule, la théorie du genre oppose la "rédemption" par les forces d'une grâce qui n'élève pas la nature, mais s'en dispense souverainement. Cette dispense ce doublera ensuite qu'un quiétisme - c'est logique - qui éclipsera toute considération morale, d'un part, et tout contact avec le réel, d'autre part). 

Ce détour était utile pour situer ce que l'on appelle "nature" dans sa tension avec la "grâce". Il n'a pas été question de "culture" parce que le christianisme ne pose pas la question de la "culture" comme l'anthropologie, par exemple, le fait. La "culture" est en fin de compte une notion moderne et qui échappe à la théologie classique. Cela dit, les élaborations pauliennes, augustiniennes, thomistes, toute théologiques qu'elles soient, sont des élaborations culturelles. Il s'agit d'élaboration "culturelles" qui se construisent à partir d'éléments non-culturels, un élément qui appartient au monde : la nature, et un autre qui lui échappe : la grâce. Ni l'une, ni l'autre ne sont de la culture, elles se situent résolument hors du champ culturel. Ce qui inaugure ce champ culturel chrétien, c'est la nécessité de penser la différence ontologique entre la nature et la grâce, entre la nature et la "surnature". Il s'agit de LA différence fondamentale pour la théologie et c'est cette différence où les deux termes demeurent autonomes mais collaborent qui ouvre le champ culturel.
Plus encore, si l'on prend au sérieux la logique interne à la différenciation nature et grâce, si l'on prend au sérieux le paradigme moral chrétien, nous sommes évidemment conduits à des faits théologiques : l'incarnation et la rédemption (passion/résurrection). Je veux dire que tout ce qui précède n'est possible que parce qu'un juif, un jour du temps, souffrit, mourut, que parce que ses disciples crurent qu'il échappa définitivement à la mort, et qu'il était le Verbe de Dieu lui-même. Sans ce corps-là, sans ce corps individualisé, sans le corps du Verbe Incarné, son corps patient, pathétique, son corps absent, glorieux, rien ne serait possible. Ce corps-là désigne irrévocablement, le corps d'Adam et donc le mien : voici l'homme !
Le dynamisme de la morale chrétienne renvoie donc simultanément à la découverte d'un corps, et à l'absence de ce corps. Un corps personnel, sexué donc, sexuel. C'est ce corps-là récapitulant tout expérience corporelle qui porte la différence nature/grâce. La culture chrétienne qu'elle soit théologique - elle l'est toujours un peu - mystique - elle devrait l'être toujours - artistique est donc la pratique et le discours induits par cette révélation du corps unique.

Partant de là, ayant posé la différence fondamentale, on peut relire certains passages de la Bible. Par exemple, le récit ou les récits de la création de l'homme dans la Genèse. Dans le contexte de la création, le donné biblique pose à la fois la différence sexuelle et l'unité de l'humain  par-delà cette différence.  On peut même dire que la création de l'homme résume à elle-seule l'acte création qui sépare et unit simultanément.  Il est intéressant de remarque que, de création, le récit ne mentionne aucune hiérarchie découlant de la différence sexuelle. La "hiérarchie" n'intervient qu'après la chute. La différence sexuelle s'inscrit dans la suite de toutes les différences établie par la création. Enfin, après la chute, si l'homme quitte son père et sa mère, c'est pour faire "une seule chair" avec la femme.
Autre exemple de lecture : saint Paul déclarant qu'il n'existe plus désormais, en Christ, ni homme, ni femme, ni esclave, ni homme libre, ni juif, ni grec, car le Christ a abattu le mur de la haine. Paul donc promeut ici une disparition des critères de séparation dans la reconnaissance du Christ. Si les différences disparaissent, c'est au non de la différence supérieure, la seule chose, pour Paul, qui autorise la disparition des différences c'est le fait que le mur de la haine ait lui-même disparu.  Pour saint Paul, cette disparition est le fait du Christ, est personnalisée dans le Christ lui qui allait aussi bien vers les hommes que les femmes alors même qu'il encourait les impuretés légales du judaïsme, lui qui déclara que "le sabbat était fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat". Si le Christ, et saint Paul à sa suite, proposent un renversement culturel, celui-ci n'est pas dû à une quelconque remise en cause de la "nature" mais c'est au nom d'un principe supérieur, théologique : à savoir la révélation, autrement dit , le dévoilement plein de ce qu'est Dieu, de la vraie nature de Dieu, qui, une fois encore, ne saurait être qu'Amour.

Le conflit qui alimente les théories sur le genre, celui entre nature et culture, n'existe pas comme tel pour la théologie et, s'il affleure parfois, il est posé en des termes différents. S'il existe une critique théologique de la nature, ce n'est pas en tant qu'elle serait contraignante ou qu'elle insisterait sur je ne sais quelles désespérantes limites, mais bien en ce qu'elle n'est pas Dieu. Plus encore, qu'en tant que nature précisément, toute bonne qu'elle soit ontologiquement, elle est marquée définitivement par le conflit lui-même. Il n'existe pas de nature pure en christianisme, il n'existe qu'une nature conflictuelle. La nature est donc à la fois ce à quoi on n'échappe pas et ce que l'on dépasse sans nier. L'adage thomiste le dit bien "la grâce ne supprime pas la nature, elle l'élève". Si même la grâce ne supprime pas la nature, l'on comprendra que la théologique a une sainte horreur de tout ce qui contribuerait à minimiser la raison naturelle. Cependant, elle ne s'en tient pas à un naturalisme naïf et béat. Elle ne peut le faire puisque le faisant, elle maximiserait le péché, la faille, le conflit qui frappe l'ordre naturel. Parler de "péché" ou d' "ordre naturel" est entrer dans un cercle herméneutique, mais nous sommes bien obligés à un moment d'y entrer. La nature apparaît donc comme relative, autrement dit en relation et cependant comme un terme du réel, son substrat incontournable. La nature est donc absolument relative. Entre réalisme et idéalisme, la pensée chrétienne a élaboré un discours sur la nature qui tient compte de ses contradictions internes : elle est finie, marquée par l'obsolescence, le mal, et la mort. La nature est toujours marquée d'un manque à être, ou un manque d'être.
L'apparition de la distinction nature/culture renforce davantage encore ce constat. La culture est à la fin un saut ontologique et simultanément articulée ou plutôt arc-boutée à la nature. La culture selon un point-de-vue théologique commence après le premier meurtre. Elle se déploie désormais marquée elle-aussi par le conflit ou pour le dire théologiquement, par le péché. La culture ajoute ainsi sa propre finitude à la nature. Le lien existant entre les deux notions est donc plutôt celui d'un continuum plus qu'une réelle rupture. Il appartient à la nature humaine de se dire dans des paradigmes culturels qui à la fois manifestent le lien peccamineux à la nature et la volonté de s'en extraire. Vouloir opposer nature/culture, comme si la première était contraignante et la seconde libératrice est une illusion qui ignore que l'une et l'autre sont marquées par le signe de péché.

On pourrait dire, la grâce ne supprime pas la culture, elle l'élève.


lundi 18 novembre 2013

Le Roi est nu ou le crime de lèse-majesté.

Voilà bientôt un mois que le pays entier semble s'abîmer dans une nouvelle "affaire". Il n'aura pas fallu longtemps pour que les indignés léonardiens cèdent la place aux indignés taubiraniens : Taubira ayant poussé Léonarda vers la porte de sortie médiatique plus vite que Valls ne l'avait expulsée par delà les frontières nationales.
La France, pays des lumières et du cinéma, a pris le pli des polémiques qui sont autant de symptômes d'une maladie désormais commentée sur tout le continent. Il semblerait, d'après la rumeur, que la République soit menacée, que son socle ou ses socles sont lézardés, que le ciment duquel elle est faite soit atteint d'un mal incurable, qu'il faille, d'urgence, procéder à des travaux de consolidation, sans quoi, nous verrons d'ici peu le bel édifice nous tomber sur le coin de la figure. En définitive, le Gaulois d'aujourd'hui - mais qu'est-ce qu'un Gaulois ?- a gardé la peur ancestrale et panique de la chute de météores, l'objet seul a changé : le ciel ne lui tombera plus sur la terre, mais c'est la République - son nouveau ciel - qui risque de lui tomber dessus et de l'ensevelir.
Cette fois-ci, la République vacillante risque l'effondrement à cause de la conjonction d'un animal et d'un fruit brandit, haineusement, par une horde de fascistes, racistes, à la solde d’arriérés moisis, à la tête farcie d'idées nauséabondes parmi lesquelles celle d'une France éternelle n'est pas la moindre. Une gamine, d'une dizaine d'années, était leur truchement, le démon de trop, celle par qui le mal est venu.

L'insulte dirigée contre un ministre d’État, insulta le gouvernement entier, l’État tout entier, le pays dans sa totalité et chacun des individus qui le compose. Ce fut l'insulte tsunami celle qui commence au loin petitement et qui enfle, enfle, jusqu'à tout balayer sur son passage. L'insultée, tout d'abord, impassible, sembla n'avoir pas perçu la pique. Quelques jours plus tard, se ravisant, sans doute mortifiée - elle est Garde des Sceaux tout de même ! et bienfaitrice de l'humanité ! - que personne, spontanément, n'ait relevé l'injure, actionna la pompe à pleurnicheries culpabilisantes. Les "hautes et belles" voix, à l'instar de la sienne, s'élevèrent depuis dans un crescendo amphigourique et ridicule. Le récent prix Renaudot *, tout vernis de sa nouvelle légitimité donna le la à cette chorale nationale des gens biens. Léonarda était loin, les putes et leurs clients aussi, voici que venait, encore une fois, l'heure de lever le poing, le stylo, ou je ne sais quoi d'autre, pour défendre la France - mais quelle France ? - sur laquelle s'abattait la haine raciste. Déjà, le ciel se couvrait de nuages sombres et les lendemains roses pour tous semblaient, désormais, fortement compromis, comme déjà, ils avaient parus s'éloigner lors de l'affaire Méric. 

C'est une petite fille qui serait à l'origine de tout ce saint tremblement. Une gamine insolente, peut-être, met donc toute la République en demeure de se mobiliser pour que le racisme ne passe pas. Une enfant, autrement dit, quelqu'un qui n'a pas la parole, qui ne parle pas. Pourtant, l'époque les fait beaucoup parler, cette époque dite de l'enfant-roi.
Cette association d'idées, nous conduit à relire l'histoire à la lumière du conte d’Andersen, Les Habits neufs de l'Empereur. L'Empereur en question est vaniteux. Un jour, des tailleurs escrocs proposent de lui fabriquer un nouvel habit qu'aucun autre monarque ne possèderait, un habit magnifique et unique. L'Empereur accepte avec gourmandise. Un jour, il vient voir l'avancement des travaux, mais il a beau ouvrir les yeux il ne voit rien, et ce même si les tailleurs semblent couper, coudre, assembler des pièces de tissu. Les escrocs assurent le monarque que tout cela est normal : l'étoffe, les fils, sont si fins, qu'ils sont tout simplement invisibles. Le jour arrive enfin où l'Empereur va pouvoir montrer son habit neuf à ses sujets lors d'un défilé. On le vêt de son habit magnifiquement imaginaire, et le voilà, nu comme un vers, qui se pavane dans les rues de sa capitale. L'Empereur n'ayant pas voulu passer pour un imbécile entra spontanément dans le jeu des tailleurs manipulateurs. Toute le monde acclame le souverain, tout le monde s'extasie devant son nouveau vêtement, jusqu'à ce qu'un enfant - une gamine de dix ans ?- prenne la parole et déclare : l'Empereur est nu ! "Et leurs yeux s'ouvrirent et ils virent" qu'il était nu.




Et bien, mutadis mutandis, nous sommes un peu dans le même cas de figure. L'Empereur Hollande est le souverain nu entré spontanément dans le jeu des tailleurs de vêtements neufs : le changement, c'est maintenant. Le tailleur en chef en même temps que le vêtement, c'est Taubira. Taubira ovationnée, Taubira louée, Taubira mise sur le piédestal de l'humanité rédempte, Taubira inondée de roses, Taubira l'étoile du matin de ce gouvernement, Taubira le cœur-sur-la-main et la main-sur-le-cœur. Mais un enfant a ôté violemment le voile : le roi est apparu, l'espace d'un instant, tout nu. Aussi, cette enfant s'est rendue coupable non pas d'un crime raciste, mais d'un crime de lèse-majesté. Et l’humiliation, le crime est d'autant plus grand, que la bouche qui en est à l'origine est celle d'un enfant justement : la vérité sort de la bouche des enfants, paraît-il. La vérité n'est pas que le ministre de la Justice est ou non un singe - "guenon", je ne sais pourquoi, est pire que "singe" - mais que Taubira est inattaquable non pas tant parce qu'elle serait "noire", mais parce qu'elle est la seule chose qui couvre la nudité abyssale de ce gouvernement. Elle est à l'origine de l'unique chose dont il peut se prévaloir à savoir la loi sur le mariage-pour-tous. Le sortie de la petite fille sonnait la fin de la fête, mettait en danger l'image de Madone au cœur d'or du Garde des Sceaux.

Qu'on ne s'y trompe pas, comme le font - mais est-ce sincère ?- les "intellectuels" professionnels, les pipeules et les autres membres du chœur angélique, dans cette affaire, il ne s'agit pas de racisme, mais bien d'autre chose. On pouvait rire de tout, avant, et le même chœur y allait de ses sempiternelles remontrances, dans le sens du vent toujours, maintenant, il n'est plus permis de rire. Les temps sont sérieux, graves, lourds de menaces, malgré le travail harassant des ouvrières du bonheur humain;  bonheur que l'on vous imposera que vous le vouliez ou non.   On pouvait rire de tout, et à ce titre, aucun homme politique, aucune femme de la même élite, n'échappaient à la satire, à la caricature et aux mots d'esprit plus ou moins fins. Le peuple pouvait ainsi se libérer d'une tension et disons-le des conséquences néfastes de l'envie ou de la jalousie. C'était la règle ! Les choses viennent de changer : Taubira qui n'est ni sortie de la cuisse de Jupiter, ni une émanation de la divinité, et cela bien qu'elle soit noire (ce qui, entre nous, n'est qu'un détail), est devenue intouchable au terme d'une construction fantasque d'un personnage politique. D'autres avant elle avaient essuyé ce genre de stupidités ( les oreilles, la stature, le sexe de Sarkozy, Benoit XVI et ses mœurs prétendues, etc.), mais désormais, prenant prétexte de cette particularité physique, elle réclame un traitement spéciale : Voici la Femme, voici celle qui en elle récapitule tout le genre humain. Avec Taubira nous sommes tous noirs, nous sommes tous des singes, nous sommes tous gays, nous sommes tous des femmes, nous sommes tous des Taubira. Comment ne pas voir que nous sommes en face d'un délire et d'une montée aux extrêmes, qui ne sont pas ceux du racisme, mais ceux du culte de la personne et de la mise à mal de la liberté.

Bien sûr, tout un chacun a droit au respect, tout le monde a droit à son intégrité physique et morale, Taubira comme les autres, ni plus, ni moins. Alors avant de nous rejouer la pièce, quelque peu usée, du racisme, de la République mise en danger, des hordes de fascistes aux portes, des loups dans la bergerie, Taubira et son chœur auraient été mieux inspirés de lire deux, trois poésies, de se donner rendez-vous à Saint-Germain-des-Près en se gargarisant au champagne et en se congratulant d'être la France de demain, celle qui ouvre des voies, la nouvelle Propaganda Fide de l'Empire du Bien, mais qu'ils nous foutent la paix avec leur morale à deux euros. Sinon, bientôt, on rétablira le crime de blasphème, blasphème contre la République, son gouvernement et tout ce qui émanera de lui.

* à ce propos  : http://acontrecourant2.canalblog.com/archives/2013/11/17/28448391.html?fb_action_ids=678751222149741%2C678336622191201&fb_action_types=og.likes&fb_source=other_multiline&action_object_map={%22678751222149741%22%3A1376972772549655%2C%22678336622191201%22%3A245857735571276}&action_type_map={%22678751222149741%22%3A%22og.likes%22%2C%22678336622191201%22%3A%22og.likes%22}&action_ref_map=[]

jeudi 24 octobre 2013

Le monde qui vient sera violemment bien.

Comment peut-on voir le monde tourner sans s'affoler de ce qu'il tourne ?  Sans prendre peur de sa façon de tourner ? Existe-t-il un autre visage du monde possible ?  Est-il un autre monde qui pourrait advenir ? Ou bien sommes-nous contraints à assister à ce qui advient, acculés à la tournure de ce monde-ci ?

Il y a quelques jours, mangeant des frites, l'oreille baladeuse, j'écoutais, avec intérêt, un jeune garçon raconter à quelqu'un qui était probablement sa mère, un film qu'il venait de voir. Il était question de meurtres en série et de suicide en pagaille pour je ne sais quelle fin du monde. Sa narration s'acheva par un "non mais, c'était bien". 
Voilà donc qu'il faut tenir ensemble le "c'était bien" et la violence des meurtres et des suicides. Je me disais, une frite entre les doigts, comment peut-on tenir ensemble sans trembler, sans toussoter du moins, ces deux choses-là ? Comment peut-on dire de toute cette violence, c'était bien, c'est bien ? 

Quelques heures plus tard, la Providence me met entre la main le petit livre de Michela Marzano, La Mort spectacle, Enquête sur l'horreur-réalité. Le livre est petit mais, bon-sang, il fait froid dans le dos. La philosophe nous expose un compte-rendu de l'horreur, celle de la fiction, et celle de la réalité mise à l'honneur par les islamistes : "Celui qui est couché par terre, les yeux bandé, attendant d'être égorgé, est-il un homme ?  Ses bourreaux sont-ils des hommes ? Et ceux qui regardent ces vidéos avec indifférence ou avec jouissance sont-ils encore des hommes ? " Voilà la question fondamentale que pose la coïncidence du "c'est bien" et de la violence, et en particulier de la violence qui consiste à regarder, à voir,  l'humiliation,  le meurtre, l’exécution d'un autre et éventuellement à en jouir,



Sur notre monde civilisé plane la menace d'une barbarie d'autant plus facile qu'il est civilisé précisément ; il est plus aisé pour une société civilisée de retourner à la barbarie que pour une société barbare de parvenir à la civilisation ; il suffit de suivre une pente. Cette pente est à l'heure actuelle de plus en plus glissante : la mort, sous diverses formes, semble rôder, l'indifférenciation, prélude à toutes violences futures, fait son œuvre. Tout se mélange, tout se brouille, et l'on est incapable de distinguer entre le virtuel et le réel. Les distances s'estompent, l'immédiateté est la chose la plus désirable. Et tout cela, à hue et à dia, non sans invoquer les droits de l'homme, l'égalitarisme, le sans-frontiérisme, l’accueil unilatérale d'autrui, l'anti-racisme, l'amour universel et la philanthropie pour tous. 

Les jeunes d'aujourd'hui qui n'auront connus que cette hubris, doublée d'une indifférence dépressive, pour la plus part ne pourront pas faire face à la violence future. Ils en seront les auteurs et les victimes. Et pourtant tout avait commencé comme un jeu, aux sons de la fête, avec une perpétuelle musique de fond : un étourdissement visant à couvrir la vanité et le vide qui s’étalaient partout. Les coupables auront été les chantres de la civilisation de mort, les fauteurs du maelstrom estampillé "culture" : une bouillie empoisonnée, une soupe putride et noire. Un jour on devra se demander quelles responsabilités porteront la télévision, le cinéma, les jeux vidéos, entre autres, dans la barbarie qui advient. Sous prétexte de liberté d'expression et de droit à l'information, de divertissement, et je ne sais quels autres appels au réel perverti, ces industries gâtent l'âme humaine, et mettent en péril la civilisation.

  

lundi 7 octobre 2013

Deuxième lettre à Robert sur le socialisme.

Cher Robert,

  Depuis ma dernière lettre, nos échanges se sont quelque peu essoufflés. Nous nous sommes quittés, une fois encore, sur des considérations vaguement politiques. Vous avez cru - vous croyez encore, sans doute - que je penche, dangereusement, vers les droites, tandis que je vous crois tout pétri, innocemment, d'idées socialistes. 

  L'occasion me fut déjà donnée de vous exposer, bien maladroitement, ce qui non seulement me gardait éloigné du socialisme mais aussi me le faisait tenir en aversion. Une fois encore, je veux y revenir afin que les raisons qui motivent cette répugnance soient tout à fait claires pour vous.

  D'emblée, je tiens à clarifier un point précis. Je ne confonds pas dans une seule et même chose socialisme et soucis pour les choses sociales. Par "choses sociales", j'entends parler de tout ce qui regarde, de près ou de loin, une plus grande justice entre les personnes, dans les communautés qu'elles constituent, et dans la société toute entière. Ces "choses sociales" ne sont pas l'apanage du socialisme, comme si lui seul aurait, par un mandat spécial, l'exclusivité de ces préoccupations-là ; plus encore, comme si "justice sociale" et "socialisme" étaient deux parfaits synonymes. Je n'en crois rien.
 Vous savez que je suis né dans un milieu que l'on appelait naguère prolétaire. Le terme semble être tombé en désuétude; le monde ouvrier a connu lors de ces dernières décennies une mutation substantielle. Cette transformation jointe à  un embourgeoisement "culturel" - le mot est galvaudé - de la société, a fait apparaître une nouvelle distribution sociale : tout porte à croire qu'il n'existe plus qu'une seule catégorie sociale que l'on pourrait appeler la prolétaro-bourgeoisie où les prolétaires d'hier sont devenus des petits-bourgeois et où les bourgeois en titre se sont prolétarisés. Dans ce vaste mouvement mimétique où les classes, jadis opposées, font chemin les unes vers les autres, le dogme socialiste présente un important ferment d'unité.
 Le milieu duquel je suis originaire me conduirait, naturellement, tant il est vrai que si les croyances religieuses se transmettent de manière préférentielle dans le sein de la famille, il en est de même pour les opinions ( les croyances) politiques, à adopter, moi aussi,  les vues socialistes sur les rapports qui régissent les communautés humaines. Or malgré cet atavisme familial - mais il est vrai que mes parents n'ont jamais été militants d'aucune opinion politique particulière, me laissant ainsi le champ libre à toute adhésion future - j'ai toujours, sans trop bien savoir pourquoi, à dire la vérité, eu une méfiance instinctive pour les doctrines socialistes. Il me semblait, je pense, étrange qu'elles fussent surtout défendues par des individus, ou des groupes, qui n'avaient pour ainsi dire aucune connaissance existentielle des causes qu'ils défendaient. Les élites socialistes, les penseurs du socialisme, ne sont jamais des ouvriers mais de bons bourgeois, tenant évidemment à le rester, on peut le comprendre, mais tenant plus encore à asseoir leur puissance "bourgeoise". Que ces élites soient émues de la misère, ou de l'injustice ou des inégalités sociales, je n'en doute pas, il me semble seulement que cette émotion n'est en fait qu'un masque involontaire, qu'un pli de l'âme, qu'une posture, comme on dit si couramment aujourd'hui.
La vertu théologique de charité impliquait que le sujet aimant tendent à ressembler à l'objet ou au sujet aimé. C'est une des loi de l'amour que de tendre vers la ressemblance. Dans le socialisme, si cela existe ce n'est que par une inversion. Les élites "charitables" ne ressemblent pas, ne veulent pas ressembler à ceux qu'elles proclament défendre. Elles ne vivent pas dans les même lieux, ne fréquentent pas les mêmes personnes, ne s'habillent pas de la même façon, ne mangent pas pareillement, ne s'amusent pas des mêmes amusement, ne copule pas de façon identique. Elles veillent à ce que la distinction subsiste, tant qu'elle peut subsister dans une société où tout tend, quoiqu'il en soit, par des forces autres que celle de la vertu, à s'amalgamer et se confondre. Aussi je puis, sans que cela face sourciller qui que ce soit, être maire d'une ville dite "populaire" et "populeuse", ne pas y vivre, habiter l'un des sites les plus beaux d'une capitale, mener grand train. Je poursuivrais toujours, comme de loin, la justice sociale dont j'ai fait mon cheval de bataille. L'émotion qui m'étreint alors assis dans mon confort de justicier repu, qu'elle est-elle ?
 Cette émotion-là, ce sentiment-là, ne sont pas autre chose que l'expression d'une culpabilité. Oh, d'une très vague et langoureuse culpabilité. La religion du progrès adoptée par le socialisme, et qui est à elle seule tout le socialisme, exige, certainement davantage que le fameux "judéo-christianisme", une culpabilité fondatrice. Cette culpabilité est le donné premier. C'est elle qui meut, elle qui assure, elle qui conduit, qui projette, construit, mais elle aussi qu'on tente vainement d'évacuer. Le "pour tous" si banalement et stupidement socialiste n'est, dans un premier temps,  que le constat coupable que nous n'avons pas réussi à édifier une société juste, que nous sommes, de ce côté-là, déjà toujours en défaut. Ce "pour tous",  si théologique, n'est que l'expression de la rédemption sociale que l'on recherche, l'expression de cette culpabilité de laquelle il faut se laver.

 Le socialisme, progressisme élitiste et qui tient à le rester, n'est qu'une sotériologie laïque qui fonde tout sa dynamique sur la culpabilité. Cette doxa s'étend à tout et à tous, car, comme je le disais plus haut, le socialisme est un ferment d'unité, comme jadis le fut le christianisme. Tout le monde est peu ou prou socialiste. Il n'est qu'à voir comment l'on vous reçoit si publiquement, naïvement, vous déclarez que vous n'avez rien à faire avec ces croyances, ces dogmes et ces certitudes. Ne pas être socialiste, c'est être livré à l’ostracisme, c'est devenir suspect, c'est, pour le dire en termes religieux, devenir hérétique. Le  monde à bougé, les sociétés se sont  émancipées, mais le traitement des hérétiques est toujours le même : rejetés dans les ténèbres extérieures.

 Vous pouvez bien dire que vous êtes de droite, on pensera, et avec raison, que vous êtes encore sous l'influence socialiste, tant il est vrai que le socialisme ne se réduit pas aux groupes politiques qu'il inspire directement. Mais déclarez, positivement, que vous n'êtes pas socialiste, et insistant sur la négation, et que vous mettez dans ce "pas" une partie de votre philosophie politique,  votre interlocuteur, vous regardera avec les yeux de l'effarement, du dégoût presque, se demandant sans doute "comment est-il possible de ne pas être socialiste?" Comment est-il possible que vous ne preniez pas part à la bonté universelle, que vous vous refusiez à participer, vous aussi, à la justification du monde ? Comment donc ne pas s'enthousiasmer à ce festin universel des futurs meilleurs et donner sa foi à cet évangile-là ?
Parce que, soyez-en sûr, le socialisme a empli le monde d'une espérance sans pareille. Cette espérance est jeune - un peu plus d'un siècle - mais elle enivre. Le monde entier, répudiant les anciens dieux, se voue donc aux dieux de cette nouvelle religion. Ces dieux-là, je vous l'assure, sont terribles, bien plus terribles que ceux que l'on a congédiés. Ceux-ci, personnels, opposaient un rempart au mimétisme, autre nom de l'idolâtrie; ceux-là, sans personnalité propre, excitent le mimétisme ; l'excitent dans le sens du Bien - c'est ce que l'on veut croire - mais en vérité, l'encourage dans le sens de l'idolâtrie : de l'état, du groupe, du lien social, de l'autre en tant qu'autre, des principes absolus, et pour le dire aussi, de la misère, car que serait un socialisme s'il n'avait à adorer aussi la misère humaine ?

  Je parlais plus haut de charité, et j'ai ensuite parlé d'espérance, non sans avoir évoqué la foi. Vous reconnaitrez sans peine les antiques vertus théologales. Vous voudriez me faire croire que le socialisme, cet unique mouvement établi sur la justice universelle, ne serait pas un christianisme inversé ? Vous voudriez me faire admettre qu'il n'entretient strictement aucun lien avec ce qui faisait le génie chrétien ? Vous voudriez me faire penser, enfin, que le socialisme serait une génération pure, né de je ne sais quelle prise de conscience soudaine au bénéfice d'événements historiques qui auraient favorisé son avènement ? Mais enfin, la matrice chrétienne dans laquelle nous avons baigné, tant nous les individus que nous les collectivités humaines, les principes chrétiens qui nous informaient, du dehors et du dedans, tout cela aurait été en vain ? Tout cela compterait pour rien ? Tout cela n'aurait été qu'une parenthèse superstitieuse ?
Mais que dire de l'immense charité chrétienne qui n'a pas attendu le socialisme et ses trémolos pour s'activer et dispenser universellement, sans faire état des personnes, son réel amour, un amour fondé, non pas sur la culpabilité, mais sur la certitude que l'amour déjà nous précédait ? Que dire, je vous le demande, de l'espérance chrétienne, qui n'a pas attendu les lendemains chantant pour se tendre toute entière vers une fin bienheureuse, une fin qui n'était autre que le règne absolu et personnel de l'amour ? Que dire, enfin, de la foi chrétienne qui n'a pas attendu les certitudes progressistes pour croire et en l'homme et en plus que lui, pour dépasser toute les idolâtries possibles, pour proposer une adhésion que seul l'amour rendait digne de foi ?
Je vous parle beaucoup d'amour, le socialisme n'en parle pas tant. Il s'en moque éperdument et si, parfois, le mot lui vient aux lèvres, c'est pour nous parler d'autre chose. L'amour n'appartient pas au lexique socialiste, il l'a soigneusement retiré de son vocabulaire. L'amour socialiste est domestique, tout au plus, et il s'arrête au pas de votre porte, dans le meilleur des cas. Ce qui vient ensuite c'est la justice sociale, l'égalité, le "pour tous", l'universelle bonasserie.

Ce "pour tous", il faut y venir encore. Voilà bien la devise progressiste : "pour tous !". Ce cri de guerre pour qu'il se fasse entendre, suppose l'existence a priori de droits réservés. Le "pour tous" réclame que les droits réservés soient l'apanage de tous, qu'il n'existe plus de situations particulières justifiant des droits particuliers. Aussi, le fondement du "pour tous" est l'envie, et parfois la jalousie. Le "pour tous" socialiste déconnecté de ce qui pourrait le rendre légitime devient la devise de tous les égotismes possibles, le slogan des pires narcissismes. On pourrait dire que ce "pour tous" n'est qu'une version déguisée du "pour moi'. Mais comme le socialisme nous inculque qu'il n'est pas bien de se battre pour soi seul, on préférera "pour tous" au "pour moi".
Pardonnez-moi si dans ce "pour tous", je vois encore quelque chose de chrétien. Le Christ offre sa vie "pour la multitude". Ce "pro multis" l'Eglise, à la différence des courants hétérodoxes, l'a toujours interprété comme étant un "pour tous" et non un "pour beaucoup". Le Christ, donc, offre sa vie pour tous, pour le salut de tous. Ce qui est remarquable ici, c'est le lien entre un seul et "la multitude". Le christianisme - qu'il soit vrai ou non, là n'est pas la question - établi un lien entre "un seul" et "pour tous" : un seul donne sa vie pour tous, le "pour tous" dépend donc du don d'un seul. Le salut des tous dépend donc de l'exemplarité d'un seul. Un seul se sacrifie pour que tous soient sauvés. Aussi le lien social que l'Eglise établissait, et elle le faisait en raison même de ce qu'elle pensait être sa révélation, est paradoxal : l'exemplarité d'un seul le fondait et en même temps ce "un seul" était dépassé par le nécessaire salut de tous. Dés lors, le chrétien était celui qui suivait cet exemple de don : je me donne pour tous ou à tous. La communauté donc prenait naissance dans le don des individualités.
La communauté inaugurée par le socialisme ne fonctionne pas. Pour elle, le don n'est même pas envisagé. On part du principe que quelque chose qui appartient à l'autre, m'échappe : il faut donc soit le lui prendre, soit qu'il soit partagé. Le rapport entre " un seul" et "pour tous" est gommé, puisque il n'y a plus, à vrai dire, de "un seul", le "moi" que je pourrais donner et, disons-le, sacrifier n'existe plus que comme revendicateur de ce qu'à l'autre, de ce qu'est l'autre. Aussi le "pour tous" n'est que le jeu de miroir à l'infini ou "un seul" regarde un autre "un seul", l'envie, le jalouse aujourd'hui, le tuera, peut-être, demain.

Je termine. Le socialisme n'existe pas seulement comme parti ou somme doctrinale. Il s'est répandu comme l'huile d'un flacon renversé. Je le disais : nous sommes tous socialistes. La droite elle-même a versé dans le psychodrame sentimental du socialisme. La droite - une certaine droite du moins - est le contrefort du socialisme. Il est parfaitement impossible que nous ne soyons pas atteints par le progressisme.
Vous voyez donc, cher Robert, que je ne suis pas si éloigné de vous. Même ne partageant pas votre enthousiasme, ou votre dépit - je n'ai jamais bien su - je vous suis proche. Mon âme, que voulez-vous !, s'est imbibée d'idées socialistes. Je tente de les débusquer, de les soumettre à une question toute personnelle, et si elles tiennent, je les fait volontiers miennes, mais la plus part abjurent.

Croyez, bien cher Robert, à mon amitié fidèle. 







mercredi 28 août 2013

Le monde est un anus.

Parfois, au hasard, on tombe sur de fameuses merdes. Cette fois j'en tiens une consistante.

http://next.liberation.fr/sexe/2013/08/28/chaque-homme-devrait-se-faire-penetrer-au-moins-une-fois-dans-sa-vie_927641

Pas étonnant, il s'agit du grandiose et bien-sous-tous-rapports Libération, à qui la merde ne fait pas peur, c'est même son fond de commerce : l'ordure grasse, consistante, formidable. Vous en reprendrez bien une louche ?

Dans l'entretien, que l'on vise, on veut pourfendre les stéréotypes mais on accumule les lieux communs du cul. Le monde semble pour les animateurs de ce fessetival un énorme trou du cul qu'il faut, sous peine de passer pour un pauvre ringard, évidemment perforé.
Une carrière de poinçonneur des Lillas s'offre à vous.

Si vous avez le cul en feu, n'hésitez pas Xplore vous ouvre ses portes. Si vous tremblez d'être un peu constipé, genre vierge effarouchée, Xplore vous propose des ateliers de mise en fion.
Bref, rater cet événement culturel serait dommage. 

La vache sacrée se flagelle.

Il faut faire gaffe l'islamophobie rampante progresse à vue d’œil. Elle progresse tellement cette phobie écœurante qu'elle en arrive même à masquer la progression, pas rampante du tout, de l'islamisme et des revendications communautaristes toujours plus grandes.

En réalité, on ne sait que choisir : doit-on se défendre de l'islamophobie, crime de lèse-humanité dans sa diversité culturo-religieuse, ou doit-on se prémunir de l'islamisme. Ce qui ne fait pas de doute, c'est que la première existe bien, on nous le martèle sans cesse et la France, dans le domaine phobique, est, on le sait aussi, le territoire de la profusion. En ce qui concerne le second, on peut avoir des doutes sur son existence ; puisque cela aussi on nous le répète. L'islamisme serait une licorne, l'islamophobie une réalité que l'on croise tous les jours au coin de la rue.

La Vache qui rit en est une des dernières preuves. Ses fameux cubes étaient des pièces de construction d'un mur de la haine. Ils contenaient des messages même pas subliminaux où le fana d'apéro au fromage sans goût pouvait, tandis qu'il buvait et grignotait, alimenter son islamophobie ordinaire.

http://www.glamourparis.com/snacking-du-web/articles/la-vache-qui-rit-presente-ses-excuses-apres-avoir-ete-accusee-d-islamophobie-270813/20264#.Uh2Bum1O8X0.facebook





La police des phobies veille heureusement : la Vache fît amende honorable, mis genoux à terre et s'humilia pour cet odieux comportement. Le voile un problème ? Aucun, tout va bien. La devinette est désormais "totalement inappropriée, et ne reflète en aucun cas la position de Bel et de la marque Apéricube, dont les valeurs font du respect des croyances, de la culture et des convictions de chacun un principe fondamental." Donc conclusion : les lois de la république, que l'on invoque avec colère et passion dans les cas où les Maires ne veulent pas en entendre parler, sont dans le cas d'espèce du voile une atteinte au respect des croyances. C'est bien ce que certains pensent d'ailleurs. Invoquer le principe religieux ici est interdit, l'invoquer là tout à fait valable. Invoquer le principe du respect des croyances quand il s'agit de christianisme intolérable, tandis que quand il s'agit de l'islam tout à fait recevable. C'est que la communauté islamique est une communauté persécutée, sujette à la stigmatisation permanente, à l'amalgame, à l'ostracisme, elle mérite des attentions particulières, et un grand effort commun des sauvages racistes et phobes que nous sommes. Nous sommes appelés à mettre en branle les valeurs de tolérance, de respect, d'accueil immodéré de l'autre. Il semblerait d'ailleurs que nous sommes les seuls à nous rappeler que ces valeurs existent. 
Pire nous sommes tenus de faire la fille de joie - tant pis si elle fait la gueule -c'est l'injonction tacite qui courent depuis une décennie et qui ne semble pas vouloir mourir. 

En excusant pour ce fait anodin et qui ne retranscrit que le réel, Apéricube se montre pleutre, lâche : image navrante de ce que nous devons.  

jeudi 1 août 2013

Un petit jeûne pour la route.

L'inculture religieuse est sans doute l'une des plus grandes. L'opinion estime, en effet, que si la religion est d'ordre strictement privé, relevant de l'intime, elle ne saurait aucunement être partagée ne fut ce qu'au titre de réalité qui touche à l'humain, à l'instar de l'anthropologie, de l'ethnologie ou je ne sais quelle autre science de l'homme. Puisque la religion, les religions, touchent, il lui semble, à la "pure" croyance, à la fable, à l'imagination délirante ou consolante, ne pas s'y intéresser, mais au contraire l'ignorer, serait l'attitude la plus saine, en tous cas celle qui signalerait le plus évidemment l'homme émancipé.
Très bien. Mais dés lors que cette attitude imbécile devient la norme à imiter, et les médias - toujours approximatifs à ce sujet - montrant la voie royale, il se trouve des pans entiers de l'humain qui deviennent parfaitement incompréhensibles. Ignorer le religieux comme l'une des composantes majeures de l'humanité, c'est risquer de ne rien entendre à l'humanité, justement.

Les ramadans se suivent et ne se ressemblent pas. Chaque année, il semble que le ramdam que l'on fait autour du jeûne musulman prend une ampleur nouvelle. Les pouvoirs publics, pourtant tenus à une réserve toute laïque et à un traitement égalitaire, multiplient, politiquement, les ruptures de jeûne, comme si la communauté des fidèles musulmans était devenue la seule existante. On ne voit pas trop les raisons de cette présence continue des pouvoirs publics dans ce domaine, alors qu'on ne cesse de marteler que la République est laïque, si ce n'est de faire entendre et de faire voir que la République désire vivre en bonne intelligence avec une communauté croyante de plus en plus nombreuse, de plus en plus visible, de plus en plus revendicatrice. Comme il vaut mieux prévenir que guérir, et bien que l'on se foute de l'islam comme d'une guigne, on va rompre le jeûne avec ceux qui le rompent. Chemin faisant, l'idée s'insinue dans l'opinion que le ramadan devient une affaire publique, une affaire d'état, et que, d'une manière ou d'une autre, toute la société vit, par procuration, voire réellement (ce fut mon cas dans le contexte professionnel) au rythme du jeûne mahométan.




Évidemment, il n'en est pas de même avec le carême. Celui-ci à mauvaise presse, et souvent auprès des catholiques eux-mêmes. Le carême est synonyme de pénitence, de poisson à tous les repas, de mines tristes et de faces renfrognées. Le carême, c'est pas "cool". Et ce pas "cool" est encore ancrée dans ce qu'il faut bien appeler inconscient collectif. Comment ce souvenir des macérations anciennes persiste-t-il collectivement ? D'abord parce qu'il existe encore une communauté de fidèles pour qui ce n'est pas un souvenir, mais un présent réel. Tant que l’Église existera, il existera un temps dans l'année qui précède Pâques et qui s'appelle le "carême". Ensuite, parce qu'il existe encore des membres des générations qui ont connu une pratique quadragésimale plus structurante que celle qui est la nôtre aujourd'hui. Enfin, par une transmission d'une culture dans laquelle le carême signifiait quelque chose à un niveau communautaire et  faisait partie de la structuration du temps partagé par tous.

Le carême, à la différence du ramadan, est d'institution ecclésiastique, autrement dit, il n'est pas d'institution divine. Si le ramadan correspond à une volonté divine pour la communauté qui suit Mahomet de jeûner un mois par an, le carême fut, à l'origine, instauré par l’Église, autrement dit, il émane de la communauté croyante, et d'aucune autre instance supérieure et encore moins transcendante. Puisque le carême est mis en place par la communauté croyante elle-même, sa discipline peut varier au cours des âges et, de fait elle a varié : les jours de jeûnes furent plus austères et plus nombreux, la façon de jeûner ne fut pas toujours la même.

Le jeûne musulman commence avec le lever du soleil  - il faut pouvoir distinguer un fil blanc d'un fil noir - et se termine quand celui-ci se couche. Si c'est la lune qui indique le début du mois de ramadan, c'est le soleil qui ensuite rythme la discipline du jeûne. Cette symbolique lunaire et solaire se retrouve aussi dans le carême. En effet, c'est la lune qui donne la date de Pâques et partant le début du carême, et c'est le Soleil  véritable qui sera, au terme du carême, manifesté : la vie de Dieu ( la discipline très ancienne du carême tenait, elle aussi, compte du rythme solaire pour les débuts et les fins du jeûne quotidien, mais une volonté de ne pas rester lié à des éléments naturels, en une matière spirituelle, à fait abandonner ce lien.) La dynamique chrétienne est de spiritualiser tout et de rompre avec une lecture trop naturaliste des choses. La spiritualisation ne correspond pas du tout à une volonté de relativiser, mais trouve sa source dans la foi telle que le christianisme l'envisage. Si l'homme peut, et doit, partager la vie-même de Dieu, dés lors ce qui compte c'est l'Esprit plus que la lettre, le fond plus que les formes. Les aspects formels ne sont là que pour aider à vivre en Esprit, et donc, au terme, à vivre de la vie-même de Dieu.
Pour l'islam, il n'en va pas de la même manière. Le fidèle ne peut vivre de la vie de Dieu, celui-ci ne partageant rien de lui avec personne. Il est absolument et définitivement le tout-autre, le parfaitement étranger et il ne saurait, le voudrait-il, rien communiquer de ce qui est lui. Dés lors, si une vie spirituelle existe en islam, il faudra aller la chercher dans des courants hérétiques, dans les marges, tandis que la grande masse des croyants suivra la voie formelle. Cependant, le jeûne musulman fait partie du combat spirituel. Mais qu'est-ce que le combat spirituel en islam ? C'est avancer dans la voie de Dieu : lutter contre ses passions, faire progresser l'islam en soi et à l'extérieur. Il ne sera jamais question de s'approcher de Dieu, parce que cette voie là est barrée en islam eut égard à la nature de Dieu telle qu'elle est définie dans cette religion. 
Le combat spirituel existe bien dans le christianisme, il comporte deux faces. Une première plus ascétique que l'on peut résumer par une lutte contre les passions égoïstes. Une deuxième plus mystique que l'on résumera comme la préparation à l'union de la volonté à la volonté de Dieu, et comme l'union effective transformante. L'islam orthodoxe, comme une bonne religion naturelle qu'il est, ne connaît que l'aspect ascétique. Si l'on veut chercher une mystique de l'union, ou en tout cas les prémices, il faut, une fois encore, chercher dans les courants hérétiques de l'islam. Autrement dit tout ce qui, dans la sphère islamique, tend à l'union d'amour est hérétique, alors que dans la sphère chrétienne c'est parfaitement orthodoxe. Du coup, et logiquement, le musulman estime que le chrétien est un "infidèle" hérétique qui non seulement professe l'idolâtrie ( il adore trois dieux !) mais prétend s'unir à Dieu dans l'amour ! Le chrétien considérera le musulman comme un croyant quelque peu formaliste professant une religion qui, dans les grandes lignes, est naturelle et ne réclame aucune révélation spécifique : un Dieu créateur et juste rémunérateur auquel il faut se soumettre, un point c'est tout.
Si, en dehors de l'islam, on ne saurait tenir le jeûne du ramadan pour divin, il se trouve qu'il est bien estimé tel par les musulmans. Le jeûne (saoum) est même un des piliers de l'islam. A ce titre, il a non seulement une valeur méritoire, mais crée la communauté. Par analogie avec  l'Eucharistie des chrétiens, le jeûne du ramadan soude la communauté, mais plus encore la fait advenir. Le fait que le précepte de l'observance du ramadan soit tenu comme d'origine divine, permet ensuite d'affirmer la même origine divine pour la communauté croyante. Il s'agit là d'un des traits majeurs de l'islam qui ramène toujours tout ce qu'il est, tout ce qui le compose à une origine divine, celle-ci étant affirmée ex-cathedra.

Toutes les religions connaissent, dans des conditions différentes, le jeûne. La société séculière le connait aussi que ce soit pour des raisons de conformisme social ( régimes drastiques) pour des raisons de santé et pour des raisons philosophiques. Le jeûne est donc avant tout un phénomène humain auquel on donne un sens disons, pour être large, culturel. 
Le christianisme reconnait, comme l'islam, la valeur religieuse du jeûne, cependant l'un et l'autre ne lui donnent pas le même sens. Pour le premier c'est essentiellement un événement spirituel qui, à l'heure actuelle, est laissé à l'appréciation de chacun, pour le second, il s'agit d'un événement rituel commémoratif et communautaire respectant des formes méritoires strictes. 
C'est désormais cette idée qui prévaut dans l'opinion en matière de jeûne, c'est la prévalence du formel sur le spirituel, du communautaire sur le personnel, du rite sur le sens, du signifiant sur le signifié, finalement c'est le retour de la religion formelle, affirmée de manière péremptoire. Intellectuellement, c'est faire fi de la longue et laborieuse tradition philosophique et théologique qui nous permettait à la fois, de distinguer ce qui revenait à Dieu et ce qui revenait, justement, à l'homme, et d'affirmer qu'il était possible pour ce dernier de rencontrer la vie du Premier : distinguer pour unir. Le génie du christianisme était, en partie, cela.

mercredi 19 juin 2013

Rhizomes genrés : propos sur une théorie qui n'existe pas. Deuxième partie.

La dispute entre "nature" et "culture", qu'exploite à frais nouveaux la théorie du genre, se cristallise autour des présupposés philosophiques idéalistes.
Il est difficile d'admettre, et le faire serait réducteur, qu'une théorie toute entière repose uniquement sur une pathologie individuelle. Si la pathologie individuelle, ou plus simplement une problématique strictement personnelle, peut s'épanouir en théorie universelle,  c'est en raison de son ancrage à des prémisses philosophiques. Si donc une pathologie individuelle prend une part à la construction d'une théorie, c'est que le système de représentations - puisque la théorie du genre n'est que cela : une représentation - induit par la pathologie se coulent dans les cadres conceptuels philosophiques de représentations justement (Schopenhauer, entre autres, fait son fond de commerce avec la "représentation" ou la "présentation").  En l'occurrence,  la théorie représentative du genre repose sur une vision idéaliste ; elle nie le réel le plus directement observable pour fonder son "orthopraxie" sur des vues de l'esprit souvent postulées a priori.
L'idéalisme est largement diffusé dans l'opinion qui, la plus part du temps, n'en a ni vent ni cure ; pour le dire trivialement la théorie du genre fait son beurre grâce aux idéalismes dont la société occidentale est farcie. 
L'idéalisme est un relativisme en béton armé. Ce qu'il nie, il le fait : il nie l'objectivité, l'essence, qu'une quelconque vérité puisse résider dans l'objet perçu, dans la chose en soi, mais il construit une nouvelle objectivité, pour ainsi dire, une vérité vraie non objectale et résidant toute entière sur le sujet percevant. L'idéalisme possède,  par sa haine déclarée, ou secrète, du réel, les germes du totalitarisme : s'affranchissant du réel, de l'observation de ce qui apparaît de fait, déniant au réel une quelconque fonction normative, il crée des catégories forcées,  relatives et cependant féroces, et fait tout entrer dans celles-ci, quittent à en créer d'autres afin d'élaborer une nouvelle représentation, un nouveau paradigme, si l'esprit lui en dit. Le malheur est qu'il y a autant de représentations pouvant avoir force de loi que de sujets, et que, sans base commune objectales, il est difficile de se rendre compte de la bonté ou de la justesse des représentations proposées. Le réel congédié cède la place à l' idéal arbitraire et à la force subjective.
Critiquant la nature d'une part, et les cadres sociaux, réputés fondés sur elle, d'autre part, la théorie du genre ramène tout, idéalement, à la spontanéité du sujet. Cette spontanéité, déjà signalée, apparaît dans un système culturel dont elle subira soit la contrainte, soit l'encouragement. Aussi la théorie du genre propose un nouveau système de représentations, de nouveaux cadres culturels supposés non contraignants. Assurément, cette nouvelle représentation devrait elle aussi être frappée par la même critique, mais, pour les tenants du genre, elle y échappe en cela même qu'elle n'est pas fondée en nature. La représentation du monde fondée sur le genre n'est pas critiquable parce que précisément elle n'est pas fondée sur l'observation de la nature, observation de la nature qui est seule soumise à critique : une nouvelle fois nous sommes face à une pétition de principe, puisque la théorie prétend que la représentation non fondée sur le réel n'est pas critiquable et que seul le réel l'est. Les études sur le genre sont imprégnée du même a priori : aucune représentation idéale n'est critiquable dés lors qu'elle est issue d'une critique du réel. Aussi il devient possible de choisir, dans une espèce de saut métaphysique, un sexe, un genre et je ne sais quoi, une espèce pourquoi pas, une couleur de peau ou en tout cas les comportements sociaux liés à la couleur de peau, rien ni personne ne saurait m'opposer une loi, une norme, pas même la nature, elle qui m’inflige le stigmate d'un sexe, d'une couleur du derme, par exemple. Tout est dans le sujet et hors de lui rien n'existe. Lui seul sait, sent, veut. La société n'est qu'une somme de sujets voulant et désirant, absolus, dans l'espace et le temps, interconnectés par les liens d' intérêts. Je ne suis le semblable de personne,  je suis seul à avoir raison contre tous, contre tous, puisque tout le monde devient potentiellement un empêcheur de tourner en rond, l'élément qui va troubler ma spontanéité. La communion - notion théologique - ou même la communauté est un leurre, le "social" que fonde l'idéalisme n'est qu'une notion catégorielle, un groupement d'intérêts - sans raisons supérieures - l'unique chose à laquelle tout le monde communie dans cet orgueil de solitaires est l'hybris. 
La confusion est totale. Ici on nie la nature et on la trouve abjecte, là on l'exalte allant même à réduire l'homme à n'être qu'un animal parmi d'autre, une espèce parmi les espèces. La vérité est que l'homme est ancré dans la nature,  qu'il est de sa nature, justement, de sa nature spirituelle, de transcender la nature. De la transcender pas simplement en la niant, mais en l'assumant, en l'élevant. L'homme est cet animal qui dans la nature donne à la nature une raison supplémentaire. Il est l'animal qui dans la nature, explique la nature, l'interprète au sens où un musicien interprète un morceau. Il est cet animal social et interdividuel (sic) 
par qui la nature passe et repasse sans jamais s'y enfermer. Il n'est pas dans la nature de l'homme d'en rester à la nature brute, comme il n'est pas dans sa nature de la quitter entièrement : le ferait-il, elle le rattraperait tôt ou tard. 




La théorie du genre existe bel et bien : polymorphe et rhizomateuse. Elle conditionne des attitudes "réformatrices", des programmes et des dispositifs qui dépassent de loin le pur cadre de sages et tranquilles études. Celles-ci ne sont que le paravent et le vivier de la théorie, son magasin, et son laissez-passer. La théorie entretient, contrairement à ce qu'elle prétend, une confusion et, à rebours, là aussi de ce qu'elle dit vouloir faire ( à savoir réduire les inégalités entre les sexes, inégalités étendues aux pratiques sexuelles ) fini par effacer non seulement les différences structurantes mais aussi le différentiel lui-même. Tout se vaut donc aux yeux de cette théorie, tout, on l'aura compris, sauf ce qui passe pour une norme fondée en nature. Aussi, il n'est pas étonnant de voir de ses adeptes défendre toutes les formes de sexuation, parfois avec une complexité toute byzantine, toutes les formes de sexualité : fétichisme, sado-masochisme, zoophilie, pédophilie, tout pouvant être le terme d'un choix justifié a posteriori par des arguments spécieux reposants sur une vision du réel très idéaliste. 

L'effacement des différences structurantes est une occasion de violence et d'une violence plus grande que celle que ces différences sont supposées produire. L'effacement de ses différences conduisent, parfois au nom de l'égalité, à un état de confusion généralisé, à la production de ce que Girard appelle les "doubles monstrueux", dans une ressemblance dominée par la rivalité mimétique. L’indifférenciation et l'état de confusion conséquent, sont le creuset de violences futures dont l'une des fonctions sera précisément le rétablissement de structures différenciée. La violence est souvent différante.
L'idéal démocratique universel appliqué non seulement au politique mais aussi à d'autres secteurs de la vie publique, de sorte que l'on puisse désormais dire que tout est politique, cet idéal développé tout au long du XXe siècle a engendré une véritable manie égalitariste. Celle-ci tend par la force des choses, par les nivellements des désirs, l'universalisme des modèles et, simultanément, leur restriction numérique, vers l'indifférenciation. La démocratie, paradoxalement, à force, est devenue la tyrannie de la confusion, le laboratoire de l'indistinct, le boudoir du chaos. Aussi, il n'est pas étonnant que l'on ai vu apparaître des attitudes et des théories qui soit dans leur genèse soit dans leurs développements tendent vers l'effacement des frontières, des limites, de la différence, du différencié et promeuvent une forme plus ou moins radicale d'indistinction au nom de l'égalité. La théorie du genre est de celles-là. Au bout de sa chaîne logique, se trouve la résorption de la différence naturelle des sexes estimant que celle-ci est insignifiante. La théorie du genre promeut l' interchangeabilité des rôles sexuels mais aussi des sexes biologiques eux-même qui ne sont plus rien qu'une trace laissée-là par on ne sait quel coquin de sort.
La récente adoption du mariage euphémiquement dit "pour tous" - appellation bonassière  symptomatique - contribue à l'entretien d'une confusion puisque désormais l'équation logique est celle-ci  : si homme + femme, égal homme + homme ou femme+femme, donc homme = femme et l'un vaut pour l'autre. C'est cette simple et crypto-logique qui est appliquée ensuite à la procréation et à la filiation. Gommant la nature, que l'on ne saurait voir, un enfant est désormais réputé conçu et né de deux hommes ou de deux femmes. L'enfant est donc "réellement" désormais le fils ou la fille d'une dyade dont la sexuation ne représente plus rien, est sans importance et insignifiante dans son lien à la procréation biologique. On ne voit pas dans ce cas, ce qui empêcherait un jour qu'un petit d'homme puisse être réputé né d'une louve et d'un homme, par exemple. Pour ce qui concerne le mariage-pour-tous, l'argument égalitariste démocratique n'a cessé d'accompagner la confusion du débat. Or cet argument occultait volontairement que l'égalité, pour qu'il s'agisse réellement d'égalité, doit tenir compte des différences premières et fondamentales. On ne peut revendiquer l'égalité que pour des situations comparables, or dans le cas du mariage pour tous, les situations ne sont pas exactement comparables.
Les raisonnements issus de la théorie du genre, ou connectés à elle, accumulent volontairement des occultations de la même espèce. Une mythologie violente prend ainsi la place de ce qui constituait naguère une anthropologie "naturelle". 
Si la culture est toujours le résultat d'une violence première, elle l'est pour mettre en forme, canaliser la violence, et elle le fait en mettant en place des cadres différenciés ; la violence est alors "différante". Détruire ces cadres, c'est partir à rebours, revenir au chaos qui prélude à la contagion violente. La théorie du genre participe à cet esprit du saumon culturel, remonte le courant des normes, fait fi des différences et réinstaure l'indistinct. Avec la théorie du genre, c'est la fête perpétuelle, le carnaval, cet événement où les codes, les genres, les sexes, les rôles, les hiérarchies, l'ordre, les convenances, sont inversés, où disparaissent toutes formes de différences, ou de distances, pour laisser la place au jeu des masques, à l'indifférenciation, aux orgies, aux bacchanales. Le carnaval se termine par un meurtre : l'holocauste de Monsieur Carnaval, les bacchanales par un lynchage rituel. La théorie du genre, destructrice de l'intériorité, porte en elle, le lynchage futur et la victime émissaire. 
Si le mécanisme émissaire était, à l'origine, générateur de symbolicité, il faut bien avoir à l'esprit qu'avec la théorie du genre et ses prolongements rhizomiques, nous sommes dans une inversion du mécanisme émissaire. Autrement dit, nous assistons pour le moment à la destruction du symbolique, avant de passer, inévitablement  par une crise violente qui, au frais d'une nouvelle victime, ou de nouvelles victimes - elles  sont prochaines, et les enfants sont en première ligne - créera à nouveau du symbolique. En attendant, l'humain souffre dans ses existences individuelles et personnelles, dans ses plus faibles représentants. Il souffre inutilement. 
 

Rhyzomes genrés : propos sur une théorie qui n'existe pas. Première partie.

Il n'y a pas de théorie du genre. C'est du moins, depuis peu de temps, ce que les esprits très en phase avec les problématiques soulevées par le "gender", ou le "genre", ne cessent de proclamer. Il n'y a pas de théorie du genre, il n'y aurait que les "études sur le genre" - "gender studies" en anglais. Le message se veut clair : aucune idéologie théorique, que des hypothèses de travail scientifique qui concernent au premier chef, l'Université et tout ce que l'on peut compter de Hautes Ecoles. Ne cherchez pas, vous ne trouverez pas de théorie sur le genre, vous ne trouverez que des écrits, incompréhensibles, avec force notes en bas de pages ; autrement rien de rien, rien qui puisse troubler la fameuse ménagère de moins de cinquante ans - que devient-elle celle-là ?

Partant ainsi avec ce propos -"il n'y a pas", "il n'y a que" - nous pouvons dire que nous sommes mal engagés dans la problématique générale sur le genre. Il s'agit là d'une véritable pétition de principe : on nie l'existence d'une théorie alors qu'il s'agirait précisément de nous prouver qu'elle n'existe pas. Car - la logique est simple - s'il y a des études sur le genre, autrement dit si des hypothèses "scientifiques" sont élaborées - et personne ne  nie qu'ils s'en trouvent - c'est donc bien qu'il existe une théorie - au moins inchoative - qui sous-tend les hypothèses de travail. Sans cette théorie, si embryonnaire soit telle, il n'y aurait pas d'études, pas de problématique, aucune attention portée au "genre" ( ce "genre" est équivoque et a l'équivocité entretenue. En français, nous savons tous que la grammaire lie le genre et le sexe. Ainsi le mâle est du genre masculin et la femelle du genre féminin. En posant le "genre" du côté du rôle social, la théorie opère une coupure du lien genre/sexe, elle rompt le rapport de constat visuel et de rôle social.) Car qu'est-ce qu'une théorie ? Il s'agit avant toute chose d'un  ensemble de notions, d'idées, de concepts abstraits appliqués à un domaine particulier. Or, force est de constater, que le "genre" possède bien un ensemble de notions connexes, d'idées apparentées, et utilise des concepts abstraits. Et que sont des études ? Quelles soient conduites sur le genre ou sur les pois ? Ce sont un ensemble hypothèses, de modèles, de notions, d'outils conceptuels ; toutes choses qui contribuent à l'élaboration d'une théorie. Il y a donc bien une théorie du genre et sans elle il n'y aurait tout simplement pas d'études. Ceux qui disent qu'elle n'existe pas, sont soit dans le déni, soit dans l'illusion ou dans  le mensonge. Pourquoi en seraient-ils là? Parce que ça les arrangent tout simplement. Cela irait dans le sens de la confusion fondamentale qui règne dans cette affaire du "genre". Et la confusion ici profite aux théoriciens radicaux de ces idées.  Un des visages de la théorie du genre est d'être, précisément, l'éminence grise des toutes les études sur le genre. Elle est le fil conducteur de plusieurs recherches et de plusieurs thèses. Un des autres visages de la même théorie est d'être la vulgarisation en vue d'une application pratique de ce que les études sont censées mettre en lumière. Il s'agit, pour cette théorie, d'être désormais le Janus de tout ce qui est concerné, de près ou de loin, par la différentiation sexuelle, par les pratiques sexuelles, par la sexuation, la sexualité, les questions touchant au rôle spécifique de la femme, ou à celui de l'homme, mais aussi par le vêtement, l'art, la façon de faire l'histoire, la philosophie et la politique. La théorie du genre est universelle, rien n'échappe, ou n'est censé échapper, à son emprise, dès lors que nous pouvons tout lire ou interpréter sous l'angle du rapport de sexe ou de leur(s) rôle(s) soci -al (aux). En définitive, s'il n'existe qu'une chose c'est bien la théorie du genre, les études ne devenant, quant à elles, que la justification scientifique ou pseudo-scientifique de postulats a priori. 

Il faudrait faire la généalogie de cette théorie qui postule que l'être humain n'est pas sexuellement déterminé, ou pas essentiellement déterminé, par son sexe biologique, ou naturel, mais par un cadre arbitrairement produit par telle ou telle société historique ou par telles ou telles normes culturelles. Pour le dire simplement, le "genre" n'est pas donné uniquement - un uniquement qui va progressivement s'estomper - par le sexe naturel, il est le produit, pour le meilleur ou pour le pire, d'une pression sociale et culturelle. Si je suis un homme ou un femme, ce n'est pas, uniquement, en raison du fait que je possède des testicules ou des ovaires, mais c'est, surtout, en raison des pressions culturelles ou sociales qui me font être "homme" ou "femme" (les guillemets servent à signifier qu'il ne s'agit plus d'hommes ou de femmes déterminés par le naturel). On sent bien qu'il y a là quelque chose d'assez vrai et même d'une confondante naïveté. Le problème est que la théorie du genre partant de ce constat, somme toute banal, va plus loin et affirme que le sexe naturel n'est en rien, ou vraiment pour si peu, dans la construction du genre, qu'il n'intervient que comme le constat primordial, l'observation première qui justifie ensuite la pression culturelle. Autrement dit, c'est parce que je constate que cet enfant est une fille, et je le constate au vu de son sexe, que moi parent, moi école, moi société, je vais le construire, l'édifier comme un "la", comme une femme, la faisant entrer dans un rôle préétabli par une société, forcément patriarco-machiste hétérosexiste, selon la norme - "naïve" dirait la théorie du genre - qu'une femme, par exemple,  s'emboîte forcément à un homme. La théorie du genre, dénonçant, parfois avec raison, des pressions sociales sexistes, en vient - sans rendre compte de manière satisfaisante de ses pressions (elles en est tout bonnement incapable) - à sombrer dans le négationnisme naturel. Le "je ne suis pas uniquement déterminé par mon sexe naturel", devient, très vite, "je ne suis pas déterminé par mon sexe naturel" et l'on voit des parents ne plus mentionner le sexe de l'enfant, se refusant à le nommer - le sexe - pour ne pas contraindre l'enfant à adopter un genre. 

A ce postulat de la négation, plus ou moins radicale, de la nature, il faut joindre un absolutisme culturel. Cet absolutisme culturel peut être libellé comme suit : je ne suis en définitive que ce qu'une société donnée veut que je sois, que ce qu'elle me contraire à être ; je ne joue que le ou les rôles, et les rôles sexués, qu'elle tient à ce que je joue pour qu'elle puisse fonctionner. Mais s'il en est ainsi, si ce que je suis, sexuellement parlant notamment, peut être modelé par une société et sa culture, je peux aussi, en le dénonçant, m'affranchir de ce cadre culturel contraignant et devenir autre chose, qui correspondrait plus à mon désir, et endosser un rôle plus en phase avec ce dernier. ( En mettant en avant les cadres supposés contraignants dans l'avènement d'un genre pour que celui-ci corresponde au sexe biologique, la théorie du genre suppose que la société a des idées a priori, non critiques, qui détermineraient ensuite sa contrainte sur les individus. Mais la théorie ne prouve rien de cela, elle se contente de critiquer une espèce de naturalisme sans pour autant expliquer comment il serait à l'origine des contraintes sociales. Les rôles sociaux liées au sexe semblent donc une construction a priori aucunement démontrée. Dans ce domaine, les études de genre sont souvent anachroniques, onéreuses dans leur argumentation, expliquant sans expliquer et souvent en projetant une préoccupation contemporaine largement dominée par le champ LGBT sur des sociétés qui sont à mille lieux de parler la même langue. Évidemment, cela ne peut conduire qu'à des procès d'intention.)   Au final donc, pour être ce que je veux être, ce que je sens devoir être, je n'ai besoin ni de la nature, ni des cadres culturels de la société. Si celle-ci m'impose des cadres normés pré-construits, je peux tout aussi bien, dans une attitude de critique, recouvrer une liberté et me donner mes propres cadres. La négation du naturel, de l'ordre biologique, joint au tout culturel, conduisent immanquablement au relativisme : la nature et la société sont liguées dans leur dictature patriarcale,  machiste, et hétéronormée et m'empêchent d'être ce que je voudrais être spontanément. 




La spontanéité du désir est ici une illusion qu'il ne faut pas manquer de mettre en évidence. La théorie du genre suppose souvent qu'il existerait un désir spontané, autonome, du sujet dans son rapport au sexuel, à la sexuation et au rôle social sexué. Or tout ceci n'est qu'une illusion romantique. Le désir, et surtout ceux dont nous parlons, est le fruit d'un mimétisme méconnu. Un petit garçon qui désirerait être une fille, n'acquiert pas ce désir spontanément, il ne le possède pas de manière infuse, sans passer par un ou des médiateurs qui font naître, à son insu, à leur insu, ce désir-là. La spontanéité, pour la théorie du genre, est ce qui va contre les aspects naturel ou normatifs, ou réputés tels. La spontanéité aurait donc toujours un caractère contestataire. Mais ici encore nous sommes dans une pétition de principe : on attend la preuve que la contestation soit bien toujours un signe de spontanéité. De même l'exception à la norme, l'anomalie dans le système ou l'ensemble, est regardé comme spontané tandis que pour le reste du système, ou de l'ensemble, il n'y aurait que contrainte. Une femme qui se prend pour un homme serait spontané, une femme qui se prend pour une femme supposerait la contrainte. Ce qui échappe à un cadre, déclaré violent, est spontané, ce qui y demeure est contraint : la preuve ? on l'attend !
 Postuler que ce type de désirs est autonome et spontané, c'est méconnaître qu'un désir est toujours précédé d'un réseau de relations qui le porte. La théorie du genre dénonçant la tyrannie d'un ordre des choses fondé sur un certain primat naturel, tombe dans le dictat culturel relativiste entretenu par la méconnaissance de la nature exacte du désir. Si en matière d'identité sexuée, je nie unilatéralement le fondement naturel, si je critique unilatéralement les cadres sociaux, réputés fondés sur la dite nature, il ne me reste qu'a me replier sur un désir purement égotique que je fantasme spontané, souverain, libre, autonome, presque me préexistant , mais qui, en vérité, lui aussi, reste à la remorque de critères culturels à la tyrannie bien plus perverse parce que cachée. 

A l'observation sereine de l'impact de la doctrine du genre, on constate une disproportion tout à fait intéressante entre sa relative nouveauté et l'importance qui lui est donnée.  On peut se demander, à juste titre, de savoir comment une théorie aussi récente a-t-elle pu gagner aussi vite les milieux intellectuels les plus influents et occuper tous les champs des sciences humaines ? Une autre théorie, celle du désir mimétique, justement, élaborée par René Girard, dans le même laps de temps, n'a pas eu la moitié de la répercussion que celle qu'a eue la théorie du genre. La question devient plus aiguë encore lorsque l'on connait les origines troubles de la dite théorie, indubitablement marquée, au berceau, par des caractères pathologiques personnels. Et pourtant cette ascendance fortement tarée ne semble pas avoir freiné son expansion. Ce phénomène est très curieux et inquiétant. Nées des recherches "médicales" d'un psychiatre pédophile (Money) lui-même disciple d'un sexologue pansexuel (Kinsey) les bases de la théorie du genre sont reprises par des mouvements militants, activistes, constitués en majorité de féministes dans un premier temps, de lesbiennes radicales, dans un second temps, et enfin d'idéologues Queer dans un dernier temps.  Tous ses groupes ont vu dans les constructions psychiatriques, sociologiques ou historiques liées au genre l'occasion de justifier intellectuellement un combat. Or quand, pour un groupe donné, à la cohésion fondée sur des particularismes sexuels, une hypothèse prend la valeur d'une théorie démontrée et irréfutable et que ce groupe a un intérêt à ce qu'elle le soit, on est en droit de tenir la théorie en question et même les hypothèses qui la sous-tendent comme suspectes a priori. Or toute la théorie du genre dans sa généalogie repose sur ce type de constructions intellectuelles liées à des intérêts sexués, sexuels, de sexuation, à des particularismes de pulsions libidinales. Le combat pour l'égalité entre les hommes et les femmes, que l'on oppose souvent comme vademecum à la théorie, est lui-même doublé par les mêmes préoccupations sexuelles qui ont marquées les débuts inchoatifs des théories sur le genre. Le même Dr. Money défendait, par un intérêt tout personnel, la légitimité de la pédophilie avec des arguments qui auraient pu - qui pourront peut-être - faire une carrière aussi faste.

Le fait que la théorie du genre fut largement assumée, développée, et propagée par des groupes radicaux explique, pour une part, son côté totalitaire : occuper tout le terrain et s'imposer avec force. Avec le temps, elle a étendu ses rhizomes et défenseurs de l'égalitarisme hommes /femmes, promoteurs de la libération de la femmes, féministes radicaux, LGTB, queer et autres se mêlent, dans le même opprobre jeté sur la nature, dans  le même constructivisme culturel, agités par la même obsession sexuelle. 

Faut-il cependant tout rejeter de cette théorie ? N'y aurait-il pas l'une ou l'autre chose à prendre tout de même?  Pour ce faire, il faudrait la débarrasser de ses fondements idéologiques et donc de la déchoir de son statut de théorie justement. Il faudrait la soumettre à la critique et ensuite la dépasser en ne retenant ce qui est probant pour en faire des hypothèses de travail. Cela supposerait de repenser le lien entre nature et culture, autrement que dans un conflit perpétuel, comme si, forcément, le deux instances étaient antinomiques.  Or ce travail de critique sereine est difficile à faire eu égard à la nature militante et intéressée, partisane donc, de la théorie sur le genre. De plus, un travail de critique supposerait de mettre un frein net à toutes les implications pratiques qu'elle engendre. En effet, elle produit des projets éducatifs qui sous le noble but de réduire les inégalités liées au sexe, entretiennent la confusion entre les sexes ou revendiquent la disparition pure et simple de la différence sexuelle. La même éducation, liée toujours au mythe de la spontanéité d'un désir préexistant, promeut des comportements sexuels présentés comme se valant tous, puisque ôtés de leur contexte naturel, et simplement mus par le désir fondateur de légitimité. L'éducation aux rôles sociaux sexués fondés sur la théorie du genre se signale par des comportements aberrants (ne pas signaler le sexe biologique de l'enfant, obliger les garçons à uriner assis, obliger à l'inversion sexuée des jeux, leçons faites sur la base d'histoires liées aux comportements sexuels - Tango a deux papas et Papa porte une robe, par exemple), pour le moment assez minoritaires et sans réel impact, mais qui, compte tenu de l'aspect foncièrement totalitaire et prosélyte de la doctrine sont, d'ores et déjà, dangereux. De plus, on notera la contradiction :  au nom de la lutte contre la contrainte sociale on impose aux enfants une nouvelle contrainte, un contrainte largement sexuelle, avec souvent des préoccupations qui ne sont pas de leur âge. Si la première revendiquait pour elle d'être fondée en nature, la seconde conteste le fait de pouvoir fonder quoi que ce soit en nature, d'où des impératifs catégoriques tirés du chapeau, facilement changeants, et donc plus directifs, puisque, logiquement, plus relatifs. On pourrait sans que cela soit abusif envisager un programme, très documenté, et largement justifié de castration afin que disparaisse effectivement la différence et le différent sexuel : l'égalitarisme est un rouleau compresseur. (La théorie du genre n'est qu'une castration idéologique en définitive).

dimanche 26 mai 2013

Les seins de Dieu ou la question du féminin transcendant.

Le féminisme a tout imprégné de son parfum. Il est impossible de considérer quelque question que ce soit, quelque problématique sans, à un certain moment, poser le débat en termes de féminisme ( comme il ne sera plus possible, bientôt, de ne pas le poser aussi en termes de "genre" ). Or, nous sommes en droit, philosophiquement parlant, de nous demander si le féminisme concerne tout, en soi ? Autrement dit, y-a-t-il réellement au fond de toute chose une réalité latente qui concernerait directement le féminisme ou que le féminisme serait en droit d'atteindre ? A en croire certains, oui . 
Cependant, en étant quelque peu idéaliste, quelque peu critique, au sens kantien, il n'est pas difficile de comprendre que la grille féministe appliquée à tout et n'importe quoi est une grille culturelle, autrement dit une élaboration a posteriori qui n'est en rien un absolu, qui n'est pas un donné fondamental de l'entendement, et encore moins en correspondance réelle avec l'objet qu'elle prétend viser, à moins de soumettre l'objet étudié à une déconstruction qui, elle,  aura lieu a priori. Pour le dire autrement, le féminisme est déjà une représentation du monde, et ne repose pas dans le monde, ne fait pas partie de lui, mais fait partie de ma représentation, de mes éléments d'analyse. Il y a donc un certain anachronisme à vouloir chercher, toujours et partout, l'éternel féminisme censé reposer au creux des choses.

La théologie n'échappe pas à cette emprise du "féminisme". Depuis quelques décennies maintenant, quelques théologiens et -iennes, ré-envisagent certaines questions à la lumière rasante du féminisme. Une des questions fondamentales, principielles, est celle-ci  : "Dieu est-il mâle ?"  Avant d'être théologique, la question a d'abord un fort substrat culturel. ( Certes la théologie est elle-même culturelle, mais par son assujettissement à la philosophie, au sens large, la théologie chrétienne tente d'échapper à l'arbitraire culturel. Or en posant unilatéralement et systématiquement les questions théologiques en termes exclusifs de culture ou de sociologie, on la coupe, dès le principe, de la philosophie - quitte à y revenir ensuite. Ce démarrage contemporain fausse parfois toute la logique, puisque la question de départ est une question mal posée.) Comme telle cette question est formulée de manière culturelle et, en quelque chose, de façon polémique. On sait déjà la réponse et l'on devine où la démonstration voudra en venir : non, Dieu n'est pas plus mâle que femelle, et, allant plus loin, si Dieu est quelque chose, il serait bien davantage "femme" que "mâle". Le procédé fonctionne ainsi : on prend un énoncé que l'on attribue, sans critiquer, à la théologie traditionnelle - Dieu est mâle -, on se pose, à la lumière des démangeaisons contemporaines une pseudo-question, - Dieu est-il mâle? - on y répond, dans un premier temps, en niant modérément l'énoncé premier - Dieu n'est pas plus mâle que femelle - et on fini par inverser l'énoncé initial - Dieu est femelle. Ce faisant on aura remplacé le prétendu dominium patriarco-machiste , par un dominium matriarco-féministe. A vrai dire, c'est ce qui était recherché,  pas de manière toujours consciente et voulue, mais la conclusion finale est ce qui se cachait derrière toute la démonstration, derrière la question première. La méconnaissance mimétique à encore réussi à faire croire que l'on abordait une problématique de manière autonome, spontanément, sans aucune médiation interne, sans aucun moteur du désir. Derrière toute question passionnée, il y a un désir qui se terre, et comme pour n'importe quel désir, il y a un médiateur qui indique ce qu'il faut désirer, qui il faut désirer, le modèle-maître du désir. Or, pour un certain féminisme, le modèle est, précisément, le machisme, le machisme considéré, illusoirement, dans une dimension métaphysique comme s'il était, lui aussi spontané, comme s'il octroyait un supplément d'être. (On pourrait allez jusqu'à se poser la question de savoir si ce féminisme-là n'a pas la féminité en horreur : les menstrues, les gestations, la parturitions, les allaitements, cet esclavage millénaire, accentué par un machisme violent . On a parfois l'impression que ce féminisme-là déteste le masculin quand il est habillé d'un corps d'homme, mais est enviable revêtu d'un corps de femme). Dés lors, il est tout à fait normal de trouver la trace de cette rivalité même sous les apparences intellectuelles du débat théologique.
La théologie, cependant, il faut bien le concéder, est un discours, une "science", qui tient compte du culturel. Plus encore, qui, bien souvent, tire ses notions, d'états culturels. Alors pourquoi, dans ce cas, ne pas faire part à l'interrogation féministe, et ce même si celle-ci peut sembler viciée à la base eu égard à la rivalité qui la sous-tend et, il faut bien le dire, la mine ? Alors soit, posons-nous la question "Dieu est-il mâle ?" ( passons d'emblée sur la dimension lacanienne de l'interrogation ; on en finirait pas sinon ) .

C'est bien la question que feint de se poser Thomas Römer dans son livre "Dieu obscur" au chapitre premier.  "En ce qui concerne la Bible, il allait presque de soit que YHWH fût décrit comme s'il était de sexe masculin. Toutes les formes verbales que l'Ancien Testament utilise pour parler de YHWH sont de genre masculin." C'est ainsi que débute sa démonstration. Or dés le départ, il y a une confusion entre "sexe" et "genre". La Bible donc décrit un dieu de sexe masculin - comme s'il en possédait un - et donc utilise le genre correspondant. Ou l'inverse :  puisque le genre utilisé est le genre masculin, on suppose donc que le dieu biblique était considéré comme membré : "Il est évident que la plupart des textes vétérotestamentaires qui parlent de Dieu le présentent, consciemment ou non, comme un homme." L'auteur ensuite donne une synthèse des images mâles de Dieu dans l'Ancien Testament : le roi, l'époux ou l'amant. Ceci fait, il nous parle de l'Ashéra divine, parèdre féminine d'un dieu masculin. Enfin, pour terminer ses considérations sur le Dieu mâle, il envisage les passages sur Dieu comme Père. Le chapitre se termine par la mention de quelques caractéristiques féminines de Dieu.
Ce qui ressort de cette lecture est tout compte fait bien maigre. Le dieu biblique a sans doute été envisagé comme masculin, et ce dans un contexte de polythéisme où des divinités féminines existaient bien. D'ailleurs l'existence de la parèdre Ashéra - qui semble avérée - va dans le même sens. En ce qui concerne les images dites "mâles", il ne s'agit là que d'images de puissance : le Dieu d'Israël étant un dieu national, il fallait qu'il fut puissant or la puissance - c'est un archétype fondé sur l'observation de la nature, quoi qu'on en dise - est du côté du masculin. Pour l'image du "père", il s'agit d'articuler l'idée d'autorité et de dépendance que n'a pas, n'avait pas, l'idée de mère; celui-ci étant plus - pour ces cultures - plus du côté de la transmission de la vie et de la nutrition ( ça tombe sous le sens, quand on a du bon sens). La conclusion qui s'impose est celle-ci - et il n'y en a pas d'autres - si la Bible parle de Dieu au masculin ce n'est pas parce qu'il serait doté d'un pénis, mais parce qu'il possède - ou est censé posséder - des caractéristiques liées à la masculinité : puissance créatrice, puissance de vie et de mort, autorité. Cependant la Bible, comme le note si justement Römer, n'est pas unilatérale et ouvre le champ sémantique sur des caractéristiques féminines pour parler de Dieu : miséricorde, mais aussi gestation, mise au monde, et vertu nourricière. Ses images féminines ne sont ni prépondérantes, ni premières, mais elles viennent atténuer, nuancer, ce que les images masculines peuvent avoir d'unilatéralement violentes. Aussi le Dieu biblique n'est ni mâle, ni femelle, mais on parle de lui au masculin et au féminin.

Qu'en est-il maintenant de la tradition proprement chrétienne ? Le Nouveau Testament apporte à ce que l'on a dit précédemment quelques changements substantiels. Le Nouveau Testament, et la Tradition ecclésiale, celle dans laquelle il naît et celle - une seule en vérité - dans laquelle il est transmis et reçu, ne changement, tout d'abord, rien au donné vétérotestamentaire. Dieu reste Dieu, et comme tel, il est au-delà des images qui l'enfermeraient dans un genre ou, pire, qui l'affubleraient d'un sexe réel. Cependant, si l'on prend au sérieux, le donné théologique, déjà présent dans les évangiles et développé jusqu'aux premiers conciles œcuméniques, quelque chose change radicalement : l'Incarnation. Si le Verbe de Dieu, en effet, prend chair, assume une humanité, il le fait avec les limites liées à cette condition humaine. Le sexe biologique et ce qui en découle, à savoir l'insertion dans la société comme "homme" ou comme "femme", en sont deux. Le Verbe de Dieu, en ne cessant pas d'être Dieu - dont au-delà des images idolâtres qui l'enferment -  assume une humanité complète, corps et âme. Qui dit "corps" dit "corps sexué". Dans le cas du Christ, ce corps sexué fut un corps d'homme. Le Verbe donc s'unit personnellement (selon l'hypostase) une humanité individuée masculine. Le Verbe incarné est un mâle. Aucun doute là-dessus. Il y a pour la conscience chrétienne un paradoxe évident, qu'elle s'efforce de penser et, plus encore, de vivre, comme nous le verrons plus loin. Ce paradoxe s'énonce comme suit : Dieu qui est l'incirconscrit et qui n'est pas sexué  a, dans l'Incarnation, un sexe qui le limite.
On peut se lancer dans des grands questionnement de théologie fiction et se demander pourquoi le Verbe dans son incarnantion est un homme et pas une femme. Ce type de questions, je pense, ne conduit à rien. L'histoire, la symbolique, la théologie, la sociologie, etc devraient être convoquées pour tenter d'apporter des semblants de réponses. Le Christ fut un homme, le Verbe se manifesta visiblement dans un corps d'homme. Selon la doctrine de la communication des idiomes, tout ce qui est dit de l'humanité du Verbe incarné, peut être attribué directement à sa divinité.  En raison de cette "communication des idiomes" on dira, par exemple, en Jésus Dieu est mort, en Jésus Dieu pleure, en Jésus Dieu souffre, etc. Pour cette même raison, on peut dés lors attribuer un sexe à Dieu, non pas à l'essence divine, mais à la Personne du Verbe Incarné : en Jésus, Dieu est un mâle. Il y a quelque chose de proprement scandaleux dans cette proposition, mais en rigueur de termes, elle est vraie. 
Cela dit, l'attitude de Jésus était loin d'être machiste. Il suffit d'ouvrir les évangiles pour se rendre compte combien les femmes sont présentes en abondance : Marie, Marie-Madeleine, Marie de Béthanie, la femme adultère, la mère de Jaïre, la Samaritaine, la veuve du Temple, etc. Et Jésus a avec chacune d'elles une relation très particulière qui se démarque totalement d'avec les us et coutumes de son temps, puisqu'il ne craint aucune  impureté rituelle.  Si Jésus est un homme, il ne l'est pas comme l'étaient les hommes de sa société, apparemment .  Dans une péricope de l'évangile de Jean, Jésus reprend même à son compte, l'image de la poule qui rassemble ses poussins sous ses ailes, poursuivant ainsi une image profondément biblique et déjà présente dans l'Ancien Testament. Dans le même évangile, Jésus à Nicodème dit qu'il doit renaître à nouveau, et c'est toute l'image de la maternité qui est évoquée en arrière fond. Enfin, et toujours dans cet évangile, l'évocation sublime de l'Eucharistie fait appel à l'image de la nourriture et de la boisson, à l'aspect nourricier du Verbe fait chair. 

La tradition chrétienne méditant sur tout cela a, relativement tôt, conféré au Christ des traits moraux féminins. Ainsi saint Ambroise : "Nous sommes nourris, par le lait spirituel du Christ. Le Christ est la fiancée qui a consacré le mariage avec l'humanité, nous a portés dans ses entrailles, nous a enfantés et nous a maintenus en vie par son propre lait." On se souvient que cette image des fiançailles se trouvait dans l'Ancien Testament, où Dieu était perçu comme le fiancé et Israël comme la fiancée. Ambroise opère un changement, c'est Dieu, en la personne du Verbe, marié à l'humanité, qui est la fiancée, plus encore il est mère et il  allaite d'un lait spirituel. Après Ambroise, le Moyen Age, reprendra cette thématique et la développera avec une vigueur extraordinaire et notamment chez les ordres mendiants. On lira avec profit à ce sujet, le beau livre de Jacques Dalarun "Dieu changea de sexe, pour ainsi dire", La Religion faite femme, XIe-XVe siècle, Fayard, 2008.
Ainsi on perçoit la lente maturation qui s'est opérée  : d'un Dieu unilatéralement associé au masculin, on passe à un Dieu décrit irrévocablement en termes féminins. Il aura fallu toute la révélation biblique, l'Incarnation, et la Tradition priante et confessante. Cette tradition reçoit l'héritage vétérotestamentaire, l'interprète et le complète. La Genèse déjà mentionnait ceci  : "Dieu fit l'homme à son image, mâle et femelle il LE fit".  Non seulement la différence sexuelle est un signe du divin, une image, mais le singulier a été interprété parfois de manière stricte. Et c'est pour cela que le second récit de la création fait sortir Ève - la vivante, elle ne reçoit ce nom qu'après la chute -  du "boueux" - Adam . Dieu tire la femme de l'homme, pas uniquement la femelle du mâle. C'est pour cela qu'une interprétation juive parle de la femme comme "la gloire de l'homme", on en trouve la trace chez saint Paul. 
Il ne faudrait pas tomber dans le panneau et croire que les  rédacteurs de la Genèse aient été sexistes. Cette notion est un peu anachronique dans ce contexte. Du reste, dire que la religion était une affaire d'hommes c'est aller, permettez-moi de le dire - un peu vite. (Il faudrait ici évoquer une fois encore René Girard, mais cela nous conduirait un peu loin du propos)  La problématique de la Genèse n'est pas du tout celle-là. Adam par exemple ne veut pas dire "Homme", mais "terreux", "glaiseux" et "Ève" ne veut pas dire "femme" mais "vivante". Nous ne sommes pas dans des catégories sexistes : la "vivante" sort du "glaiseux", la "vivante", la Mère du genre humain sort de la terre façonnée par Dieu et animée par son Esprit. Mais cette Ève si elle est quelqu'un d'autre n'est pas autre chose que le "glaiseux" : "os de mes os, chair de ma chair". Autrement dit dans la distinction ( et la distinction temporelle de leur "création") est dite simultanément la proximité et l'union.



L'iconographie, elle aussi, bien que rarement, propose aux regards des spectateurs et des croyants, une synthèse du même type. Ainsi par exemple "L'ensevelissement du  Christ aux seins" de l'hôpital Notre-Dame de la Rose, à Lessines, en Belgique. Cette déploration mêle le  type de l' imago pietatis ( le Christ mort soutenu par des anges) et celui de la déploration proprement dite ( le Christ déposé de la croix et pleuré par les saintes femmes).  Pour ce qui est des caractères féminins du corps, on peut évoquer un précédent : l'illustration de la plaie du côté dans le Bréviaire de Bonne de Luxembourg, où elle est visiblement traitée comme l'entrée du sexe féminin.  Avec l'iconographie, le scandale, si l'on peut parler ainsi, est plus fort encore, parce qu'il donne à voir ce qui n'est pas, il donne à voir physiquement ce qui n'est que spirituel. Aussi les caractères de l'anatomie féminine - les seins (nourriture), les hanches (gestation)  - sont attribués au Christ et au Christ mort. 
La mort du Christ étant une recréation, le nouvel Adam - le Christ - dort sur la croix et de son côté - comme du côté d'Adam - sort l’Ève nouvelle à savoir l’Église symbolisée par l'eau - le baptême- et le sang - l'Eucharistie.  Si dans la création originelle, il y a bien deux "individus" distincts - Adam, Ève - dans la recréation spirituelle à l'occasion de la mort du Christ, le nouvel Adam récapitule en lui les deux "entités", si bien que ce qui sort de lui n'est pas autre chose que lui. L'exclamation d'Adam en voyant Ève,  "voilà bien l'os de mes os, la chair de la chair", devient, avec le Christ la réalité - du moins pour la théologie. Donc, le Christ est à la fois le nouvel Adam -  l'Adam véritable comme dit saint Irénée - et, d'une certaine manière, la nouvelle Ève. puisqu'il donne lui aussi la vie par le coté ouvert. La symbolique féminine prend donc ici une dimension spirituelle notoire mais sans que l'on fasse appelle au sexe. Le sexe n'est pas nié, il est transcendé. 

 En tout état de cause, rien dans le christianisme de ce qui touche à l'âme, au spirituel, ne saurait se dire sans le corps, de même rien ne touche au corps sans aussi atteindre l'âme et l'esprit. C'est un des fondements de son anthropologie. Celui qui s'arrêterait dans toutes ces questions à une dimension sexuelle - dans l'acception contemporaine du terme - se tromperait grandement. Si le sexuel n'es pas absent, il n'a rien à voir de près ou de loin avec une quelconque pornographie. Il serait plutôt de l'ordre de l' "érotisme" à condition de le prendre univoquement en termes d'amour selon le désir. Cet amour-là, désir compris, reçoit donc la possibilité de devenir un  amour spirituel authentique. Dire "spirituel", ce n'est pas nier le corps mais c'est donner à celui-ci sa qualité d'image efficace d'une réalité qui le dépasse, qui le transcende, une réalité d'ordre spirituel, précisément, et qui est, en définitive, plus adéquatement humaine, que nous soyons homme ou femme.