mardi 31 janvier 2012

Mormonisme et islam : miroir mon beau miroir.

Vous connaissez le mormonisme. Sans doute, au moins une fois, avez vous eu affaire à ses jeunes "cadres dynamiques" en complet et cravate, avec un accent outre-atlantique, vous demandant de prier pour que Dieu vous dise si, oui ou non (oui surtout), leur religion est la bonne et l'unique. L'Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours, puisque tel est le nom officiel de ce groupe, est sans aucun doute la communauté religieuse la plus originale des États-Unis et, du moins jusqu'à l'apparition des Témoins de Jéhovah, le phénomène religieux le plus percutant en occident, pour le XIXe siècle.

Si on ne peut, sans soulever un tollé, se pencher de façon critique sur l'islam, on le peut tout à fait sur le mormonisme, pour la simple raison que l'on ne met nullement en danger la paix sociale, les mormons comptant pour rien. Étant, par le fait du hasard, entré en contact, parfois plus étroit, avec le mormonisme, j'ai toujours été frappé des similitudes, mutatis mutandis, qui existent entre les deux phénomènes religieux.

L'islam et le mormonisme se revendiquent tous deux d'un prophète non seulement inspiré, mais recevant, sans médiation, une révélation directe et nouvelle. Les deux prophètes étaient tous deux sujets à une inquiétude religieuse et avaient l'habitude de se retirer dans des endroits déserts pour prier, et c'est durant l'une de ses retraites que, tous deux, reçoivent leur révélation. 

Dans les deux cas, la révélation reçue se veut en totale rupture, accusant les traditions religieuses précédentes (et surtout le christianisme) d'avoir trahi le message original.
Dans les deux cas, la révélation se veut un retour à un message, à une tradition religieuse plus ancienne.
Un livre tient une place primordiale dans les deux cas, un livre "caché" et révélé. Le Coran primordial toujours auprès de Dieu, est ainsi communiqué à Mahomet, tandis que Joseph Smith reçoit la révélation qu'un livre aux pages d'or est caché quelque part, caché et chiffré. Nous sommes, malgré la différence de traitement, dans le même schème mythologique du message incommunicable mais tout de même communiqué. 

Les deux fondateurs créent une communauté croyante assez solidaire et constituées toutes deux dans une espèce d'errance, dans la fuite et le voyage. Les deux communautés ont des bases patriarcales, avec dans le cas des mormons, le rétablissement de la polygamie. Les deux communautés possèdent pour ainsi dire un lieu de culte unique, fondamental, la Mecque pour l'islam, le Temple de Salt Lake City pour les Mormons. Enfin, les deux communautés sont régies par des interdits et des prescriptions rituelles assurant la cohésion du groupe.

Un autre point commun est celui de l'expansion. L'islam, on le sait, est destiné à être communiqué à tout la terre, le mormonisme, via l'impérialisme américain, est lui aussi destiné à rassembler le monde entier. Dans les deux cas, bien que de manière différente, il y a une visée très nette d'expansion quasi consubstantielle.



On voit donc que les deux phénomènes religieux sont assez semblables et procèdent d'une même psychologie religieuse. Je ne suis pas loin de penser que l'inquiétude fondamentale du fondateur a donné naissance à des formes similaires que seules les circonstances géographiques et culturelles ont permis de distinguer. 

Lorsqu'il m'arrive de rencontrer un mormon, je ne manque pas, devant son insistance à me demander de prier pour obtenir une réponse de la part de Dieu concernant la véracité de sa religion, de lui souligner les points de ressemblance avec l'islam qui prétend, lui-aussi, venir de Dieu. Or, à moins de supposer que Dieu soit un tantinet schizophrène, ce qui est toujours possible, il ne saurait se révéler de manière aussi différente, car l'islam n'est pas le mormonisme, et bien que beaucoup de ressemblances les rapprochent ,de plus grandes différences les éloignent. Donc, puisqu'il y a contradiction dans les termes une ,au moins, de ses "révélations" est fausse. Il faudra, dans ce cas, mettre les ressemblances des effets sur le compte d'une cause extérieure, d'une cause qui ne saurait apparaître comme transcendante, une cause la plus causale possible, si l'on peut dire. Je n'en vois pas d'autre que celle de la psychologie du fondateur. Deux fondateurs ayant des psychologies  similaires vont, fatalement, donner naissance à des mouvements fort proches, marqués des mêmes signes, appartenant à un même univers religieux quelque peu paranoïde, et dans les cas qui nous occupent, un univers religieux archaïsant (interdit alimentaire, ou lié à la bouche, sacrifice) acritique (conception immédiate de la révélation, conception mythologique de celle-ci) et forcément patriarcale (machisme, distinction sexuelle nette et appuyée, promotion des familles nombreuses). 

Bien des choses commencent dans la tête d'un homme et finissent dans le cœur de plusieurs autres.


lundi 30 janvier 2012

Entre génie et perversion, la liberté du christianisme.

Nous étions cinq. Le Moulin Rouge affichait ses "F" et était, comme de coutume, photographié par les touristes - un autre eut dit "les badauds"- la place Pigalle était semblable à elle-même, sans grâce, sans beauté, n'ayant pour elle que le pittoresque, et encore, il faudrait parler d'un pittoresque du souvenir plus que du réel. Mais peu importe tout cela puisque nous n'étions pas sur la place. Nous nous trouvions attablés quelques centaines de mètres plus bas.

La conversation en vint à la religion. Et une fois encore, je mesurai l'ignorance, les idées reçues, les idées préconçues, les préjugés en cette matière. Une nouvelle fois, je soutins que le christianisme était l'unique nouveauté survenue, en matière religieuse, dans l'histoire de l'humanité, et que, plus encore, il était à lui seul la promesse de la sortie de la religion.

Lacan, dans une communication à Bruxelles, parlait au sujet du catholicisme de "la vraie religion". Notion, qu'il fallait entendre "à la Lacan", c'est-à-dire, comme ne disant pas ce qu'elle disait, ou plutôt disant strictement ce qu'elle dit. "La vraie religion" contenait en elle la critique du "religieux" - Lacan avait bien compris la force critique du christianisme, sans pour autant lui donner sa foi -  son adhérence au réel et simultanément sa possible perversion, et sa perversion réalisée.

Le génie du christianisme réside tout entier dans cette "sortie" de la religion. Après le christianisme on ne pouvait plus "pratiquer" une religion comme on les pratiquait avant son avènement. Le génie du christianisme est d'avoir libéré l'homme, de l'avoir libéré de Dieu, et de la religion elle-même, au point, et cela est symptomatique, qu'une des premières accusations, à l'encontre des disciples du Christ fut, précisément, celle de leur athéisme.

Une des perversions du christianisme est de n'avoir pas su maintenir cette libération du religieux comme une constante d'une nouvelle attitude spirituelle et d'avoir, au contraire, sombré, à certains moments plus qu'à d'autres, dans des formes religieuses habituelles.

Malgré cela, malgré la force que la perversion peut avoir, il n'en reste pas moins que la puissance libératrice persiste et qu'elle se manifeste davantage, car si, le génie du christianisme lui appartient consubstantiellement, sa perversion ne lui appartenant pas en propre, n'est qu'un défaut ajouté, un défaut constant, mais ne venant pas de lui.

Le paradoxe est grand : comment donc une "religion" peut être une sortie du religieux en évitant de devenir et un programme philosophique flou et une nouvelle religion, fut-elle la vraie. Tout le christianisme historique balance entre ces deux pôles, entre d'une part la fin du religieux et l'accomplissement du religieux, d'autre part. A vrai dire, l'accomplissement du religieux est sa fin, mais de notre point de vue, de notre situation d'hommes incorporés, procédant en toutes choses de manière discursive, une chose vient après l'autre, et si nous pouvons concevoir les deux choses en même temps, il nous est quasi impossible de les pratiquer toutes deux simultanément.

Une voie est cependant possible. Celle-là même suggérée par Paul : "usez du monde comme n'en usant pas". Certes la maxime vaut pour le monde et ses "biens", mais on peut aisément, l'appliquer à la religion : "ayez une religion comme n'en ayant pas". Cela invite à une pratique critique, à une adhésion critique, et "critique" ici ne veut pas dire revendication ou mécontentement, mais distanciation, césure, silence, doute peut-être.  Le Christ lui-même à Nicodème qui vient le voir nuitamment (voilà bien un des lieux, ou un des temps, de la critique : la nuit) déclare "le vent souffle où il veut et tu entends le bruit qu'il fait, mais tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va, ainsi en est-il de tout homme né de l'Esprit".  L'Esprit n'est pas un esprit de servitude mais un esprit d'adoption et là où est l'Esprit, qui est Seigneur, là est la liberté, pour paraphraser Paul encore. Dire que l'Esprit est Seigneur, c'est dire, en un langage religieux, que l'Esprit seul désormais présente une quelconque puissance en matière religieuse. Un Esprit qui souffle où il lui semble bon, et dont on ne sait pour ainsi dire rien : on en voit les effets et c'est tout.

Ainsi de l'homme chrétien dont on ne sait ni d'où il vient, ni où il va, qui "souffle" où et comme il veut et dont on entend la voix, qu'elle soit murmure ou cri, et peu importe que le monde en veuille ou n'en veuille pas.