lundi 30 janvier 2012

Entre génie et perversion, la liberté du christianisme.

Nous étions cinq. Le Moulin Rouge affichait ses "F" et était, comme de coutume, photographié par les touristes - un autre eut dit "les badauds"- la place Pigalle était semblable à elle-même, sans grâce, sans beauté, n'ayant pour elle que le pittoresque, et encore, il faudrait parler d'un pittoresque du souvenir plus que du réel. Mais peu importe tout cela puisque nous n'étions pas sur la place. Nous nous trouvions attablés quelques centaines de mètres plus bas.

La conversation en vint à la religion. Et une fois encore, je mesurai l'ignorance, les idées reçues, les idées préconçues, les préjugés en cette matière. Une nouvelle fois, je soutins que le christianisme était l'unique nouveauté survenue, en matière religieuse, dans l'histoire de l'humanité, et que, plus encore, il était à lui seul la promesse de la sortie de la religion.

Lacan, dans une communication à Bruxelles, parlait au sujet du catholicisme de "la vraie religion". Notion, qu'il fallait entendre "à la Lacan", c'est-à-dire, comme ne disant pas ce qu'elle disait, ou plutôt disant strictement ce qu'elle dit. "La vraie religion" contenait en elle la critique du "religieux" - Lacan avait bien compris la force critique du christianisme, sans pour autant lui donner sa foi -  son adhérence au réel et simultanément sa possible perversion, et sa perversion réalisée.

Le génie du christianisme réside tout entier dans cette "sortie" de la religion. Après le christianisme on ne pouvait plus "pratiquer" une religion comme on les pratiquait avant son avènement. Le génie du christianisme est d'avoir libéré l'homme, de l'avoir libéré de Dieu, et de la religion elle-même, au point, et cela est symptomatique, qu'une des premières accusations, à l'encontre des disciples du Christ fut, précisément, celle de leur athéisme.

Une des perversions du christianisme est de n'avoir pas su maintenir cette libération du religieux comme une constante d'une nouvelle attitude spirituelle et d'avoir, au contraire, sombré, à certains moments plus qu'à d'autres, dans des formes religieuses habituelles.

Malgré cela, malgré la force que la perversion peut avoir, il n'en reste pas moins que la puissance libératrice persiste et qu'elle se manifeste davantage, car si, le génie du christianisme lui appartient consubstantiellement, sa perversion ne lui appartenant pas en propre, n'est qu'un défaut ajouté, un défaut constant, mais ne venant pas de lui.

Le paradoxe est grand : comment donc une "religion" peut être une sortie du religieux en évitant de devenir et un programme philosophique flou et une nouvelle religion, fut-elle la vraie. Tout le christianisme historique balance entre ces deux pôles, entre d'une part la fin du religieux et l'accomplissement du religieux, d'autre part. A vrai dire, l'accomplissement du religieux est sa fin, mais de notre point de vue, de notre situation d'hommes incorporés, procédant en toutes choses de manière discursive, une chose vient après l'autre, et si nous pouvons concevoir les deux choses en même temps, il nous est quasi impossible de les pratiquer toutes deux simultanément.

Une voie est cependant possible. Celle-là même suggérée par Paul : "usez du monde comme n'en usant pas". Certes la maxime vaut pour le monde et ses "biens", mais on peut aisément, l'appliquer à la religion : "ayez une religion comme n'en ayant pas". Cela invite à une pratique critique, à une adhésion critique, et "critique" ici ne veut pas dire revendication ou mécontentement, mais distanciation, césure, silence, doute peut-être.  Le Christ lui-même à Nicodème qui vient le voir nuitamment (voilà bien un des lieux, ou un des temps, de la critique : la nuit) déclare "le vent souffle où il veut et tu entends le bruit qu'il fait, mais tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va, ainsi en est-il de tout homme né de l'Esprit".  L'Esprit n'est pas un esprit de servitude mais un esprit d'adoption et là où est l'Esprit, qui est Seigneur, là est la liberté, pour paraphraser Paul encore. Dire que l'Esprit est Seigneur, c'est dire, en un langage religieux, que l'Esprit seul désormais présente une quelconque puissance en matière religieuse. Un Esprit qui souffle où il lui semble bon, et dont on ne sait pour ainsi dire rien : on en voit les effets et c'est tout.

Ainsi de l'homme chrétien dont on ne sait ni d'où il vient, ni où il va, qui "souffle" où et comme il veut et dont on entend la voix, qu'elle soit murmure ou cri, et peu importe que le monde en veuille ou n'en veuille pas.

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