vendredi 28 décembre 2012

Rhapsodie pour une fin du monde III. Fin.

La question fondamentale que pose l'apocalypse chrétienne ( il sera dit plus bas ce qu'il faut peut-être entendre par "apocalypse chrétienne"), est celle de la fin de l'Histoire.
La coutume graphique veut que désormais on distingue l'histoire de l'Histoire ; la première n'étant qu'un ensemble de faits, leur récit, et l'interprétation des uns et de l'autre, tandis que la seconde commencerait où la première abandonne l'interprétation et se poursuivrait pas une réflexion philosophique non plus sur des faits mais sur le mouvement général qui permet les faits, qui autorise les faits à apparaître, qui autorise leur récit et leurs interprétations, qui autorise, enfin, la réflexion elle-même. L’Histoire serait donc un mouvement auto-reflexif, le seul sans doute, qui advient phénoménologiquement et qui se distingue de la somme des individualités et d'un quelque chose que l'on pourrait appeler, faute de mieux, la nature. L'Histoire en ce sens est accomplissement, et même révélation, elle est donc apocalypse. Alors donc, parler d'apocalypse comme fin de l'Histoire revient à dire que l'apocalypse se résorbe sur elle-même ou, pour être plus positif, que l'apocalypse c'est hic et nunc : déjà il fait nuit et déjà l'aurore pointe, simultanément, conjointement voici l'épaisseur des ténèbres et la palpitation de l'aube.



Mais on aurait pu écrire aussi que la question fondamentale posée par l'apocalypse est celle de la fin de l'histoire, en tenant compte de la remarque qui a été faite au sujet de l'initiale, minuscule ou majuscule. L'histoire semblerait maîtrisable, ou du moins pouvant être appréhendée, tandis que l'Histoire resterait, principalement, hors de portée, de portée empirique. Envisager la fin de quelque chose de constatable, de perceptible donc, et de quelque chose qui est hors de portée, n'est évidemment pas la même chose. On peut même se poser la question de savoir comment quelque chose qui est hors de portée peut-il finir? Ou qu'est-ce que finir pour ce quelque chose-là? Habituellement, l'apocalypse est perçue comme la fin de l'histoire, le point final de l'enchaînement des faits, le dernier fait. Il est dernier au point - cela n'est que tacite dans cette compréhension de l'apocalypse - qu'il échappe du coup à l'histoire elle-même, mais comme il est tout de même encore quelque chose, il semble précisément dans son caractère ultime rejoindre l'Histoire. Et nous en revenons donc, à la même compréhension de l'Histoire comme apocalypse.

 La fin du monde n'a pas eu lieu. C'était à prévoir. Le monde en rêvait, histoire de se donner quelques frissons supplémentaires, le monde en a rit à se faire peur. Ce qui est a noter tout de même dans cette affaire calendaire et médiatique, c'est la fureur dictatoriale de l'information. Enfin, de ce qu'il faut bien appeler, faute de mieux, information : si vous n'étiez pas au courant d'une fin du monde, vous passiez pour le plus ringard des ermites asociaux, pour le moins cool des badauds. Ce monde pourtant dans sa stupidité, devenue une de ses valeurs phares, en était à découvrir, il semblait, cette annonce catastrophique comme si c'était la première du genre. Il est vrai que cette dernière était sensée émaner des Mayas et l'on sait que les Mayas se piquaient de sciences dures. Pourtant la prophétie n'était que la énième du genre, le dernier avatar d'une longue série de spasmes oraculaires, de convulsions hallucinées, la dernière éructation sibylline. C'est que le monde en a vu d'autres des oracles et des promesses de grand black out, mais le monde oublie tout. Et dans sa grande amnésie, il communia stupidement, enfantinement, festivement à cette fin du monde décevante.

 " En ces jours qui sont les derniers, Dieu  nous a parlé par le Fils, qu'il a établi héritier de toutes choses, et par lequel aussi il a fait les siècles." Voilà comme parle l’Épître aux Hébreux - un texte écrit au premier siècle de notre ère - dans ses tous premiers versets. "En ces jours qui sont les derniers", nous sommes en droit de nous étonner que la lettre au Hébreux déclare benoitement que les jours de sa rédaction sont les derniers. Nous savons pertinemment que c'est faux puisque nous sommes là pour la lire, cette lettre, et nous lisons quoi? "En ces jours qui sont les derniers." Alors voici l'alternative, soit l'auteur était une espèce de prophète maya, soit ses fameux jours derniers le sont vraiment mais alors comment les comprendre.
Il est certain que l'épître par cette formule vise une certaine appréhension du temps, une compréhension de celui-là qui n'est pas la compréhension ordinaire, vulgaire et trivialement chronologique. Cette compréhension du temps semble avoir été modifiée par ce "Fils" qui parle. Depuis que le Fils a parlé, la compréhension du temps s'en trouve modifiée. Ce qui est remarquable dans la phrase citée c'est, à nouveau, la relation faite entre eschatologie ( En ces jours qui sont les derniers) et la protologie ( par lequel il a fait les siècles). Le Fils qui parle en ces jours qui sont derniers est aussi celui par lequel les siècles ont été faits. L'apocalypse a donc déjà eu lieu : c'est la manifestation du Fils dans la chair, c'est l'Incarnation du Verbe entendue non seulement comme le moment "t" du temps où le Verbe s'unit une humanité totale, mais aussi et surtout, comme dynamisme de vie, déploiement continu d'une chair individuée jusqu'à la Passion et la Résurrection.

L'histoire se poursuit dés lors collectionnant ses petits et hauts faits. Elle progresse l'histoire, elle va de l'avant, elle donne au passé ce qui appartenait au futur mais désormais marquée par excès de la chair du Verbe. D'un certain point de vue, l'Incarnation est un événement faisant partie de l'histoire, mais selon un autre, bien plus fécond, elle lui échappe par excès.  La manifestation de la chair du Verbe n'est à proprement parler ni un fait, ni un événement, elle advient, elle surabonde, elle frappe l'histoire d'obsolescence et l'Histoire de folie furieuse. Elle oblige désormais à considérer que le temps est fini, que les jours où parle le Fils sont les derniers effectivement, parce que, strictement parlé, aucune nouveauté ne saurait désormais survenir ni advenir.

Désormais, par la chair du Verbe et sa parole, l'une et l'autre intimement liées, ma propre chair transcende l'Histoire. Certes, mon corps a bien son histoire, ses faits et gestes, mais ma chair déborde de l'histoire de mon corps de tous côtés. Les raisons du Verbe sont désormais les raisons de la chair de n'importe quel homme qu'il adhère ou non aux paroles dites par le Fils. Ce Fils par qui les siècles ont été faits rend raison de la chair de l'homme. Et c'est pour cette raison que ces jours, dans une bonne et saine apocalyptique chrétienne, sont toujours les derniers, fin du monde ou non.

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