samedi 15 janvier 2011

Michel-Ange et l' "artiste-contemporain"

 Première publication octobre 2007, ailleurs.

Que l'on me permette de parler de la chapelle Sixtine par le truchement de  "La Voie nue" de Michel Masson.
L'auteur se propose de donner une nouvelle interprétation de la fabuleuse décoration de la Sixtine, en faisant le constat suivant : aucun historien d'art n'a pris en compte, vraiment, le fait que le nu semble avoir dans cette oeuvre majeure une place importante, voire capitale.
Le livre est construit comme une enquête minutieuse, palpitante et vraiment sublime. Ce livre révolutionne la manière de voir la Sixtine, mais aussi toute l'oeuvre de Michel Ange. Avec cette lecture, vraiment originale, du travail de l'artiste, Masson offre, à mon sens, la clef indispensable pour entendre le message du décor de la chapelle et, plus largement,  celui du peintre.
L'art dit "contemporain" - les termes juxtaposés font concept où, si l'on préfère, deviennent une catégorie en soi, autant pour l'historien d'art que dans  la contemporanéité de l'oeuvre d'art - ne peut aller bien loin. Abscons, sybillin par essence et par destination, ayant révoqué avec perte et fracas la catégorie du beau pour ne retenir que celle du sens,  alors même qu'il masque ce dernier sous les formes les plus diverses, les plus provocantes, les plus aptes à mettre le sens, précisément, en questionnement, l'art-contemporain ne saurait s'adresser qu'à une élite de "connaisseurs", élite rasante, imbue de sa singularité, de sa capacité à se distinguer des autres, de ceux qui ne comprennent pas, élite friande de concepts philosophiques, peu chers et immédiats, dont elle pourra, le moment venu, agrémenter ses dîners en ville, où ses rites initiatiques. Et les autres - ceux qui ne comprennent pas ce qu'il y a à comprendre - se moquent bien de cet exercice de haute voltige prétendue, et pensent à autre chose, sans même prendre la peine d'essayer de comprendre. Car avec l'art-contemporain, il s'agit de comprendre, d'avoir la clef absolue. Il est ainsi devenu un nouveau sphinx questionnant sans cesse, posant ses fastidieuses égnimes aux passants que nous sommes. Le beau, le laid, sont à mettre au placard des notions sans valeur. Mais la pertinence, la légitimité, le sens, le faire sens, sont les valeurs brandies par notre monstre interrogateur. L'art-contemporain interroge, c'est tout ce qu'il fait d'ailleurs, et souvent sans même connaître la réponse, et sans savoir si réponse il y a. La question à son sens du fait même d'être question. Si à l'époque de Michel Ange, l'oeuvre avait une raison d'être, presque indépendamment de l'artiste, aujourd'hui c'est l'inverse : l'oeuvre n'a pour ainsi dire aucune importance ce qui compte c'est l'artiste : l'artiste est devenu son oeuvre. Quand je parle d'oeuvre, je parle de la chose tangible, sensible, palpable, de l'artefact, sachant que cette notion, elle-aussi, n'a plus de place; on peut ainsi, aujourd'hui, concevoir parfaitement un oeuvre virtuelle, parfaitement virtuelle, pourvu que l'artiste y songe. La prise de la place de l'oeuvre par l'artiste n'est que le dernier avatar des confuses et pénétrées mutations de l'artiste depuis Vasari. L'artiste chassant l'art, est devenu la seule chose qui importe, lui, son cerveau, son entrejambe, son estomac et toute la pensée circonstanciée que tout cela engendre. L'artiste-contemporain est, si l'on veut une image, Narcisse en sa flaque. Un Narcisse qui, bien souvent, se fout éperdument de Michel-Ange et des autres "anciens"; cela n'a, pour notre artiste-contemporain, que peu de valeur, étant tout préoccupé de lui, de son "intérieur", de son ipséité qu'il interroge de manière obsessionnelle. L'art coïncide avec lui dans une espèce de consubstantialité, une co-naissance éperdue : l'art c'est moi, peut-il dire. 

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