dimanche 18 septembre 2011

Au malheur des mots

Les mots sont menteurs et nous les faisons mentir bien souvent, agitant tantôt l'un tantôt l'autre sans savoir, au juste, ce que nous balançons à la tête du voisin.
Ainsi "misogynie" veut dire justement "haine des femmes" et "misandrie" "haine du mâle", "hydrophilie" "amour de l'eau" tandis qu" hydrophobie" veut dire "peur de l'eau" jusqu'ici tout va bien. Mais voici que "xénophobie", qui devrait vouloir dire en toute rigueur "peur de l'étranger", veut dire "haine de l'étranger". Ainsi donc la phobie vaut pour la haine, et la haine pour la peur. Si les deux sentiments sont parfois proches, ils ne sont pas toujours identiques. Je peux avoir peur de quelque chose sans pour autant le haïr et je peux détester quelque chose sans en avoir peur. Alors le misogyne aurait-il en réalité peur des femmes?  Peut-être.
"Homophobe", quand à lui, est doublement menteur. Il fait croire qu'il veut dire "haine des homosexuels" alors que le suffixe "-phobe" renvoie plutôt à la peur, et à la peur de quoi? pas de l'homosexuel puisque le préfixe "homo" grec n'a, étymologiquement, aucune connotation sexuelle, mais veut simplement dire "même", donc "l'homophobie" c'est la peur du même, de celui ou de celle que j'estime me ressembler un peu trop en n'importe quel domaine.
"Islamophobe", que nous entendons souvent ses temps-ci, voudrait dire "haine des musulmans" alors qu'il affiche "peur de l'islam". La haine des musulmans devrait se dire "musulmanomisie" ou au pire "musulmanophobie", l'islamophobie serait alors plus rigoureusement une crainte de l'islam comme corpus de doctrine, toute chose après tout fort légitime, n'importe qui ayant le droit de critiquer n'importe quoi.
La "christianophobie" pose un autre problème. En effet, elle peut être une haine/peur du christianisme telle que par exemple le médiatique Michel Onfray l'exprime en toute liberté sans que personne lui en fasse grief, ce qui ne serait pas la même chose s'il se piquait d'islamophobie, et pourtant, je le répète, il a le droit d'exprimer ce qu'il souhaite exprimer comme critique, pourvu que le droit de répondre soit préservé. La "christianophobie" peut aussi être la haine/peur des personnes adhérant au christianisme, comme par exemple on le remarque dans certains pays. Il faudrait pouvoir distinguer les deux notions. Parler dans le premier cas de "christianismophobie" et dans le second de "christianophobie".
Un "cinéphile" aime d'un amour passionné le cinéma, le suffixe "-phile" l'indique, aucune perversion, son amour est sans tâche, par contre (sic) le "pédophile" aime les enfants d'une manière pathologique, son amour est torve. Rien pourtant dans le mot ne l'indique, de même son compagnon d'infortune le "zoophilie" aime les animaux de manière trop intime. La "philie" ment ici, alors que dans "philosophie" elle dit toute sa pondération et sa sagesse. Il faudrait parler de  "pédomane" et de "zoomane", comme on parle de "mythomane", de "érotomane" et de "nymphomane", le suffixe "-mane" signalant la distorsion. Alors je pourrais me vanter d'être pédophile autant que je voudrais être philosophe, d'être zoophile autant que j'aimerais être iconophile. Mais hélas, la "manie" est elle-même menteuse, car voici le "mélomane" qui aime avec la même passion la musique que le cinéphile aime le cinéma. Il faudrait dire mélophile ou musicophile. Mais non la musique semble entrainer la manie et pas la philie, ce qui est sans doute vrai quand je constate le nombre de personnes qui se promène avec des casques sur les oreilles; oui c'est de la folie.
"Antisémitisme" veut dire, pour le commun, la haine du juif, mais en vérité ce terme désigne la position de combativité à tout ce qui est sémitique, et les juifs ne sont pas les seuls sémites, parfois même ils le sont très peu. L'antisémitisme est la haine de tout ce qui est sémite, et donc de l'arabe aussi. L'antijudaïsme est l'opposition au judaïsme et la judéophobie la peur/haine des juifs. Ainsi Hitler était judéophobe, mais aussi judéomane, christianismophobe, mélanophobe (peur du noir) et sans doute antisémite, cela ne l'empêchait pas d'être mélomane, mélomanie qui encourageait sa mégalomanie.
Ce petit aperçu montre suffisamment que nous utilisons les mots pour signifier ce qu'ils ne signifient pas. Et les mots, étant plastiques et, en définitive, vides, mentent et souvent avec violence. Ces mots-là qu'ils disent vrais ou non, sont souvent violents. Violents par ce qu'ils entendent signifier, violents par la distorsion qu'on leur fait subir.
 Je reviens sur "homophobie" voilà l'exemple type d'une violence sémantique, signe d'une autre, ou d'autres violences. Ce mot, pris comme il est, veut donc dire "peur du même" or ce n'est pas ce qu'il dit usuellement, donc on lui fait subir une violence  qui est un interprétation restrictive du sens. On expulse tous les sens, sa polysémie, pour ne retenir qu'un seul sens possible, celui de la peur de l'homosexuel. Le mot d'origine reçoit une connotation sexuelle qui n'avait absolument pas comme tel. (Le mot "homophobie" s'est formé de manière spontanée et populaire, on a simplement pris le "homo" de homosexuel auquel on a joint "phobie", cette formation quelque peu fantaisiste est déjà une forme de violence. Le même phénomène se retrouve avec tous les mots en éco-) L' "homophobie" donc comme désignant ce qu'elle désigne de fait est une violence sémantique désignant une violence réelle ou supposée telle, car ici aussi, il s'agit parfois d'interprétation et l'on requiert un tribunal de départager, de dire si, oui ou non, il y a haine. Trois violences donc, celle de la distorsion de sens, celle de celui qui met en jeu le sens tel qu'il est reçu communément, et enfin celle de celui qui accuse en usant du terme avec son interprétation restrictive.
L'islamophobe, au sens commun, est sans doute violent, mais violent, par réponse, donc par mimétisme, celui qui brandit l'accusation. La violence peut se retrouver aussi dans la répétition de l'accusation. Si l'on vous dit gentiment, mais plusieurs fois par jour, que vous êtes un imbécile, sans aucun doute cela laissera des traces; la répétition est une violence, pensez la torture chinoise de la goutte d'eau.
Violent le christianophobe ? Certes, comme peut être violent celui qui accuse.
La distorsion du sens des mots signale la violence qu'ils contiennent et qu'ils cachent. Il s'agit là d'un vrai symptôme. Restreindre l' "antisémitisme" aux juifs est une manière de violence, puisque sans le dire on expulse tous les autres, ne gardant dans cet ensemble, pour mieux les persécuter, que les seuls fils d'Israël. On voile pour mieux être violent, dire par exemple "judéophobe" serait moins mentir, et la vérité serait étalée et peut-être plus difficile à pratiquer.
Pour la "pédophile" il s'agit d'une violence faite à l'amour, n'étant pas ce qu'elle signifie, amour sain des enfants, la pédophile ment et la violence de ce mensonge est grande car s'il me venait à l'idée de faire dire au mot ce qu'il veut dire en réalité,  je serais désigné immédiatement comme victime, la méprise - qui n'en serait pas une - me signalerait comme bouc émissaire.
Alors donc, je suis obligé de mentir avec les mots, de les faire mentir et d'en user comme en use tout le monde, de considérer la zoophilie comme aberrante, la mélomanie comme sublime, alors que je trouve la zoomanie pathologique, et la mélophilie comme tolérable. Je dois trouver l'homophobie odieuse, mais considérer que l'homonymie ne regarde en rien l'homosexualité, de même que l'homoousie qui reste un terme strictement théologique.
Le malheur des mots !

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