mercredi 8 février 2012

Une civilisation du coup de bâton et du fouet

De toute évidence sur certains mots du lexique général de la langue française plane une ombre, un fantôme et certains mots sont littéralement possédés par un esprit "impur". Ainsi, par exemple, les mots, "patrie", "nation", "civilisation", etc., semblent devoir subir un exorcisme, du moins lorsqu'il sont émis dans certaines circonstances, ou par certaines gens. "Civilisation" prononcé par un homme blanc, occidental et européen, politiquement de droite, est inaudible, un manque de goût, une insulte, un tabou. Le même mot qui serait prononcé par un oriental, par une femme ou un homme noirs, ou quelqu'un politiquement à gauche, aurait une toute autre connotation, a priori. On peut ainsi vanter "la splendeur de la civilisation islamique" "quant l'islam illuminait le monde", sans que personne y trouve à redire, mais on ne peut pas prétendre que "notre civilisation" - à charge de la définir, certes- soit à défendre. Cela ce n'est pas possible, il y a un tabou majeur, une fin de non recevoir, un outrage fait à une posture intellectuelle toute possédée par le fameux esprit malin. 

"Civilisation" est riche en idéologie, et cela pour l'émetteur d'un message qui utiliserait ce signifiant, comme pour le récepteur qui l'entendrait. Entre son émission et sa réception, la place demeure pour l'ombre évoquée plus haut. L'ombre plombe le sens, fausse l'acception, perturbe sa compréhension et sa réception honnête et impartiale ; l'ombre pervertit le jugement. Elle veille sinistrement sur toute position  politique où un "autre" serait convoqué, elle surveille de près tout discours qui poserait l'"autre" en face du "moi"- qu'il s'agisse d'individus mais plus encore de "sociétés"- elle se fait même ultime truchement des non-dits et le paradigme absolu de leurs interprétations exactes. Ceux qui useraient à mauvais escient de   "civilisation" comme ceux qui se hâtent de les conspuer, sont tous entiers sous l'emprise de l'ombre; elle est notre double, le double pervers de notre - je n'ose dire "civilisation" - amalgame socio-psycho-culturel.

Comme toutes les ombres, celle-là est morte, mais omnipotente tout de même d'au-delà de la mort. On pensait la page tournée et l'on découvre que tout est encore agité par le traumatisme. L'ombre nous regarde comme la statue du commandeur. Nous n'en avons pas fini avec Hitler, puisque c'est de lui qu'il s'agit. C'est lui qui tire les ficelles des discours et de leurs interprétations, lui qui habite les non-dits, lui qui plane sur nos relations aux autres, à l'autre. Hitler qui, dans notre cas, et pour notre plus grand malheur, tient la main à un certain christianisme. Un christianisme perverti, un christianisme, pour paraphraser Chesterton, devenu fou.
L'homme européen ayant sur  la conscience d'avoir produit le "monstre", de l'avoir construit, vit depuis la fin de la guerre une crise aiguë de culpabilité, et il trouve, cet homme-là, dans ce christianisme de fin de chaîne, ce christianisme crépusculaire, le bâton pour se battre : repentance ! plus jamais ça ! sont les nouveaux cris de guerre de l'occident européen. Aussi à nos yeux fascinés, l'autre nous apparaît toujours plus pur, toujours meilleur, toujours plus naturellement bon, toujours "supérieur". A vrai dire, nous sommes les seuls à tenir ce discours, les seuls à tenir cette place et, comme le montre si bien René Girard, nous devons cette posture au christianisme qui seul permet cette mise en cause, ce constant réquisitoire. Croyez-vous qu'ailleurs on s'encombre aussi massivement de chercher, débusquer, les fautes historiques? Pensez-vous que d'autres sociétés soient aussi portées que les nôtres sur cette culpabilisation permanente? Pensez-vous que d'autres organisations culturelles soient aussi auto-critiques, aussi largement ouvertes, quoique l'on dise, à l'autre ? 

Le christianisme travaillant en nous, dans le corps de nos sociétés occidentales, un christianisme largement dépassé, largement évacué, mais tout de même encore toujours là par les plis sans nombres qu'il nous à fait prendre, par les habitus qu'il nous a imprimés, nous oblige, perversement, à prendre spontanément cette place - ultime évolution d'un système sacrificiel, toujours selon Girard - de la victime consentante et qui se croit, sincèrement, coupable. Il n'est même plus besoin que d'autres nous accusent, des autres qui auraient les mains vides, les mains propres, d'autres qui seraient "purs" de tous "péchés", ce qui les autoriseraient à nous jeter la pierre, non il n'est plus besoin de ces autres-là existent, puisque nous nous chargeons seuls de notre procès, de notre jugement et de l'exécution de la sentence : nous nous lynchons nous-même, fous que nous sommes de la haine de soi.
Il ne saurait être question, cela va sans dire, d'affirmer la supériorité essentielle ou naturelle d'une culture sur une autre, et encore moins, d'un homme sur autre. Il n'existe rien qui soit "en-soi" supérieur dans un monde relatif. Mais c'est précisément ce relatif qui détermine ce qui est supérieur à autre chose ou qui lui est inférieur. Il va sans dire - mais disons-le - que "supérieur", "inférieur" sont eux-mêmes des relatifs et qu'ils ne sont pas des "en-soi" absolument absolus. Ils n'essentialisent pas, rien ni personne.

Il n'existe donc pas des "civilisations" en soi. Il n'existe que du relatif civilisationnel. Et justement, c'est bien parce que c'est relatif qu'un jugement est possible, un jugement relatif. On juge l'arbre à ses fruits, il en est ainsi pour les hommes, pour les sociétés, pour les "cultures", pour la morale, pour les philosophies, pour l'art, pour les civilisations aussi.  Et dans tous ces domaines, il est des gradations. Des gradations dans l'espace et dans le temps.
"Or, il y a des comportements , qui n’ont pas leur place dans notre pays, non pas parce qu’ils sont étrangers, mais parce que nous ne les jugeons pas conformes à notre vision du monde, à celle, en particulier de la dignité de la femme et de l’homme. Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique. En tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation."

Ce message, message politique faut-il le dire, est donc recevable et tombe sous le sens. Mais cela suppose, que cassée soit la statue du Chancelier. Recevable, il l'est mais, politiquement, sans doute, dérangeant. Dérangeant, peut-être, mais ne valant nullement la réaction, politique, elle aussi qui lui fait suite. 
La civilisation qui est la nôtre est plus une étape qu'un aboutissement achevé.


La paix sociale, le "vivre-ensemble", la bonne entente entre les peuple,s exigent donc, nous semble-t-il, que nous nous portions coupables et l'on ne saurait concevoir, si pas un amour, du moins une ouverture à l'autre, sans cela. La logique est claire : s'affirmer, c'est interdire à l'autre de le faire, c'est voler à l'autre ce qu'il lui revient, presque de droit. Un autre dont, au fond, on a peur, que l'on ne voudrait, pour rien au monde, contrister. Il ne reste pour nous, comme société - parce que individuellement, il en va tout autrement - de nous effacer, de s'amoindrir, de disparaître pour laisser la place à l'autre.
A dire vrai, il n'y aurait rien à dire à cette mystique de l'effacement de soi, si du moins elle commençait ici et maintenant, pour chacun, individuellement, au niveau de la relation de personne à personne - un moins pour un plus.  Mais à ce niveau-là, précisément, rien n'advient, et les belles-âmes de gauche ou de droite, restent inertes. Le discours de l'oubli de soi pour l'autre n'est valable qu'au niveau des sociétés, des ensembles culturels, en deçà nous retombons dans "l’œil pour œil et dent pour dent", et dans le "pousse-toi de là que je m'y mette" quotidiennement vécu, quelque soit la couleur de notre peau.

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