mercredi 15 février 2012

Un vie chienne.

 J'avais écrit ceci à mon départ de Londres. La veille, le chien était mort.


Quelques mots pour la mort de Pilar.

Une vie purement animale s'achève. Que peut bien signifier une vie telle, non habitée -apparemment- par l'esprit?
Un être que nous avons recueilli, soigné, protégé, aimé, qui par sa présence de simple gratuité, purement factuelle, cet être-là, tout chien, seulement chien, parce que ne sachant être autre chose que chien, qui par cette présence vivante, où n'entre pas de simulation, de stratagème, de composition, toutes choses pour nous si habituelles, une vie, au final, purement vie, toute dans l'être-là, sans arrière pensée, sans même de pensée tout court, un être tout en poils qui nous enseigne quelque chose de la vie. Oui, il nous apprend, à nous qui sommes pourtant les gardiens de l'esprit, les pourvoyeurs du sens, à nous qui intellectualisons tout, qui y sommes tenus ou condamnés- je ne sais au juste -, la simplicité du fait biologique et sa profondeur foncière. Un être en apparence aussi peu doué de raison, nous apprend à coller davantage non seulement à l'existence, mais à la vie elle-même dans ce qu'elle a de fondamentalement biologique et que nous partageons, tout imbus d'esprit que nous sommes, avec tout le vivant. Nous collons ainsi au flux vital qui fait nous mouvoir et nous reposer, manger et nous réjouir de simples choses, nous nous accordons au concert universel de la nature et de l'être, et sous les couches successives des conditionnements culturels, politiques, religieux, sociaux, nous découvrons que nous aussi nous tenons bonnement de l'animal.
D'eux à nous, la gratuité de la vie brute se manifeste. De nous à eux, la transcendance de l'esprit se communique. Ils sont pour nous les témoins du flux vital, nous sommes pour eux les médiateurs de l'esprit. Et ainsi nous communions.

Nous l'avions trouvée un soir de septembre, sous la pluie, à Porto. Donnée, vaudrait mieux que «trouvée» et nous l'avons reçue, acceptée, d'abord avec hésitation, ensuite avec une espèce de gratitude. Elle a su entrer dans nos vies sur les pointes blanches de ses pattes, avec la délicatesse têtue, la discrétion et l'espièglerie qui furent les siennes jusqu'à la fin. Elle restait muette et silencieuse, signifiant sa reconnaissance autrement : par sa douce présence fauve, sa chaleur, son abandon tandis qu'elle dormait.
Je l'ai aimée comme on peut aimer un être calme, doux et reposant, au regard si plein, qu'il serait insensé de dire que jamais aucune âme n'est passée dedans. Elle tremblait les soirs d'orage et de vent, cherchait partout à se cacher et ne trouvant le répit à ses terreurs primaires que blottie contre moi sous une couverture. Une nouvelle fois, alors, il m'était demandé de me charger de cette petite vie sans esprit. Tout cela n'a certes pas l'importance des choses importantes, après tout ce n'était qu'un chien ,entends-je. Il faudrait pourtant être dénué de tout soupçon d'humanité pour ne pas accorder à ces détails une importance tout de même.
Ce n'est pas en vain qu'elle à consolé par sa présence les jours sombres traversés, et catalysé mes angoisses, me restituant une paix. Ce ne fut pas en vain qu'elle m'enseigna par sa vie humble une autre valeur à l'existence et la confiance en la vie.
De la bonté dont elle participait, la bonté foncière de toute chose venant à l'existence, qui n'est pas la bonté morale, elle m'a appris la bonté de la vie et le devoir, pour moi qui suis un homme, d'y adjoindre la bonté morale. Car si pour elle la bonté de l'être suffisait, pour moi il m'appartient de joindre à celle-là la bonté morale qui, dans mon cas, en est l'aboutissement.

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