dimanche 4 mars 2012

Dieu à la bouche.

Les rapports que nous tissons avec la  nourriture, ce que nous mangeons et la façon dont nous le mangeons, sont loin d’être sans significations. L’on sait que les religions, mais pas seulement elles, entretiennent avec  les aliments des relations complexes. Certaines les totémisent, d’autres les frappent d’interdit. Ainsi du judaïsme qui discrimine le monde en aliments « purs » et « impurs », et établit des règles de consommation pour les aliments déclarés purs. L’islam, quand à lui ,déclare impurs certains aliments, dont le porc reste l'emblème, et demande, pour les aliments « purs » une consommation halal. Le judaïsme par les règles complexes de la Kasherout  entend conserver l’ordre de la création tel que Dieu l’aurait instauré, et ne pas sombrer dans la confusion, péché suprême. L’islam, imitant à perte le judaïsme, ne veut que manifester la suprématie de Dieu, par l’invocation de son Nom, au moment suprême de la prise de la vie à l’animal ; faisant de l’acte d’abattage une espèce de sacrifice.

Le christianisme se démarque nettement de l’une et l’autre de ses façons de faire. Non seulement Jésus déclare que ce qui rend l’homme impur ce n’est pas ce qui entre en lui, mais ce qui sort de lui, de son cœur, faisant que le cœur soit  la nouvelle ligne de démarcation entre le pur et l’impur  - le cœur, c’est-à-dire l’intériorité, l’espace intime où combattent à la fois Dieu et la confusion - mais, plus encore, l’apôtre Pierre est lui-même conduit à porter un nouveau regard sur la création, où désormais, pour l’esprit chrétien, tout est pur. En effet, si le pur et l’impur se jouent en moi, de moi parfois, le reste, ce qui m’est extérieur ne peut être que pur, surtout si on le réfère à la création : comment Dieu qui est pur aurait-il pu créer de l’impur ? Aussi les disciplines alimentaires – très changeantes- dans le christianisme n’ont strictement rien à voir avec les catégories du pur et de l’impur, il s’agit uniquement d’une discipline ascétique, comparable à celle d’un sportif. 

Le christianisme nous a débarrassé non seulement du sacrifice, mais aussi des catégories de pureté rituelle et de tabous alimentaires.  Le monde est à nous et nous en faisons – hélas – ce que nous en voulons. Cependant, la tradition chrétienne, béni Dieu avant le repas, la bénédiction suprême étant celle de l'Eucharistie.
Évacuées les notions de pureté et de sacrifice alimentaires, le christianisme, cependant, fait d’un repas son rite superessentiel. Un repas qui est aussi un sacrifice et un pur sacrifice. L’ Eucharistie, en effet, renouvelle par la voie des signes, l’offrande vitale de celui qui par le don de lui nous a libéré de tous les liens rituels archaïques. Son sacrifice unique, offert une fois pour toutes, rend caduques tous les sacrifices et toutes les figures sacrificielles. L’Eucharistie « contemporanise » ce don par la voie des signes du pain et du vin qui deviennent présence véridique  de celui qui restaure l’homme intérieur.
L’Eucharistie par une certaine pauvreté du signe (du pain du vin), pas l’absence de pathos (pas d’effusion de sang), par la simplification du rite de la manducation (est-ce encore un repas?), nous autorise à avoir un rapport dégagé avec le reste de ce que nous mangeons ou ne mangeons pas. Nous sommes  devenus des hommes libres et au royaume de la liberté des enfants de Dieu, le porc est aussi bon, beau et pur que l’agneau, que la vache ou le poulet, que nous en mangions ou non.

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