mercredi 14 novembre 2012

L'entrée du Christ à Bruxelles où la religion qui vient.

La religion est polymorphe ou plutôt le religieux est polymorphe puisque la religion est une chose et le religieux une autre. On peut rapidement définir la religion comme un ensemble plus ou moins structuré de principes, de croyances et de rites, tandis que le religieux serait plutôt un sentiment, plus ou moins vague, plus ou moins conscient, ayant trait à des conceptions du monde ne relevant pas directement de l'empirisme positif.
Le religieux donc, en raison de sa nature extrêmement plastique, peut se manifester en dehors même des cadres stricts de la religion, des religions. Il y a un certain rapport au sport, à la mode, aux fêtes, à la musique, à la culture, à la politique, à la science même qui relève du religieux et ce même si les comportements signalés ne donnent pas forcément naissance à une religion. Un seul exemple lié à la nourriture : le sport et la mode font appel à un comportement ascétique proprement religieux, comportement largement manifesté dans un ensemble de religions. L'anorexie sportive ou celle des plateaux de modes ne peut pas ne pas faire penser à celle de la mystique. Si les deux premières sont acceptées culturellement par nos sociétés comme allant de soi, la troisième, quant à elle, semble pathologique et ce uniquement en raison de son objet de référence directement religieux.

Cet exemple, et il y en a d'autres, illustre clairement que ce qui "fait problème" pour les mentalités contemporaines, ce n'est pas tant un comportement spécifique que l'objet de référence qui motive le comportement. Or l'objet explicitement religieux fait problème. Davantage encore, c'est l'objet religieux transcendant, autrement dit celui qui est au dehors, qui est évacué; car, malgré le soin qu'elle met à évacuer tout ce qui est expressément religieux, notre société est incapable d'y parvenir vraiment et le religieux n'est en définitive que déplacé.



Ce déplacement est accompagné, à moins qu'il n'y participe, d'un changement de paradigme. Ce nouveau paradigme comporte l'amnésie générale d'un moment, pas si ancien, d'une religion structurante de la culture. Je veux parler du christianisme qui, il y a encore quelques années, était un donné que beaucoup partageaient sans même y adhérer par conviction.
Aujourd'hui, il semble que les choses aient changées et que toute référence au christianisme, qu'elles soient motivées par des convictions philosophiques ou simplement sociologiques, est le fait d'une arrière-garde désespérément attachée à un ancien ordre des choses. La rapidité du changement paradigmatique dont ce qui vient d'être dit n'est qu'un symptôme, ne peut avoir lieu sans un travail positif d'oubli, d'amnésie.
Cette amnésie draine avec elle la confusion des notions, et pour tout dire, l'indifférence aux notions elles-mêmes. Que nous importe donc les notions, l'histoire et le reste, puisque nous en inventons d'autres ! semblent dire nos contemporains. Le problème est que les fameuses notions dont on ne veut plus avaient été forgées dans une espèce de lenteur propre à l'humain, et que celles - les pauvres - qui les remplacent sont artificiellement fabriquées dans l'officine des jeux des influences politiques, économiques, sociologiques, et plaquées à grand renfort de communication sur des cadres tout aussi vite construits et qui sont censés rendre compte de l'évolution extrêmement rapide des mentalités. Les axiomes du nouveau paradigme sont ainsi induits, presque de force, avec une violence qui même si elle prend la télévision pour truchement n'en demeure pas moins une violence, inculqués dans la tête, l'esprit, le cœur des individus constitués en troupeau savant. La généralisation des études, de l'école, nous a rendu "savants", capables de réfléchir par nous-mêmes, mais, malheureux que nous sommes, nous voilà toujours constitués en troupeau où si l'un bêle, le voisin bêlera, et ainsi de suite. "Penser par nous-mêmes"? La belle illusion, ça pense et ça se passe bien de nous. Il faut une volonté d'airain pour échapper au poids du troupeau savant, s'extraire de la masse soi-disant pensante et suspendre son jugement autant qu'il le faut, jeter un anathème définitif sur la télévision, cette boîte de pandore, et faire son chemin sans l'aide de ce cerveau de remplacement.

Parmi ce qu'il est convenu d'appeler, de façon somme toute assez conventionnelle, nos contemporains - car, après tout, qui m'est contemporain? - il en est, un bon nombre, qui refusant, parfois de manière arrogante - une arrogance qui tant elle tient du tic mimétique, confine à la bêtise, égrainant toujours les mêmes poncifs, les mêmes arguments ressassés -  et le religieux et la religion - toutes sont englobée dans ce "la" qui prend essentiellement la figure du christianisme, comme étant la quintessence de "la" religion, autrement dit de la perversion - exécutent, dans un même mouvement, le remplacement de l'une et de l'autre, par une "philosophie" et des références idéologiques qui tiennent du religieux et de la religion. Ils se font gloire d'être purifiés de la perversité religieuse mais, et c'est sans s'en rendre compte, tant ce qui est religieux est censément évacué, qu'ils réinstaurent des habitus et des manies proprement religieux. Les lendemains qui chantent, ceux du changement perpétuel - et ça change depuis toujours, l'Eglise elle-même ne se disait-elle pas "semper reformanda", sont pour ses bonnes âmes l'horizon de leur eschatologie immédiate. Ces bonne âmes toutes replètes d'une dévotion festive, toutes confiantes en une humanités idéale et bonne, pleine de romantisme social, tout sourire et le cœur sur la main tant que vous êtes d'accord avec elles, mais bien que  dévotes à la fête humaine, se transforment en assassines, sans pitié, sans compassion, sans même prendre la peine de vous comprendre dans ce que vous dites, en coupeuses de têtes, si vous avez le malheur de ne pas vous réjouir avec elles. Cette "Eglise" qui ne dit pas son nom, aux ramifications telles que je ne demande parfois si, à mon corps défendant, je n'en fait pas partie, propage - elle a ses missionnaires - ses idées, ses sentiment, ses impressions qu'elle prend pour des opinions, ses opinions qu'elle croit  mordicus être données d’en-haut, un en-haut qui est aussi un en-bas, car pour elle il n'est d’en-haut que très bas;ce nouveau paradigme, qui a besoin de la figure de l'autre soit pour l'aduler soit pour l'écraser.

L'évacuation spectaculaire d'un certain religieux, d'un religieux dont la référence est explicitement transcendante, d'un religieux entretenant des relations trop explicites avec la religion, fait place ainsi à une palette de réactions qui sont encore de type religieux et donc, à terme, à une religion au sens où on la définissait plus haut.
Cette religion qui vient - qui est déjà là - est à la fois politique et festive, l'un n'allant - désormais- jamais sans l'autre (Il n'est que de voir les émissions de télévision où hommes politiques - et femme, précisons- se mêlent aux comiques en tout genre, dont certains font profession, justement, de moquer le politique. Aussi le moqueur se trouve à la même place que le moqué, l'arroseur que l'arrosé, et l'un vaut l'autre, et l'un dit aussi vrai que l'autre, et l'on ne sait plus, au final, qui est l'un qui est l'autre, car de l'un à l'autre, il n'y a plus de différence. Et l'effacement de la différence est un premier pas vers la violence.)
La fête, et la fête politique, est la figure majeure de la religion nouvelle. Une religion qui impose à ses fidèles de se réjouir en tout temps et de trouver cause à sa réjouissance en tout. La ville - lieu du politique étymologiquement - devient le fastueux théâtre des amusements et l'on voit telle ou telle place occupée par des manifestations où les citoyens communient : c'est sympa ! Effectivement, c'est sympa ! Un slogan en forme de credo : sympa et on a tout dit. Un sympa qui réduit à rien les qualificatifs avec lesquels on pourrait nuancer la réalité. Nous sommes convier au banquet urbain du sympa, parce que Monsieur, Madame, il n'y a pas de souci. Il n'y a plus de soucis, c'est la promesse de ce nouveau culte. A y regarder de près, nous sommes encore et toujours dans le christianisme - dont nous sommes indécrottables- mais un christianisme de pacotille, une amusette bonasse pour cerveaux marketisés.

Indécrottables chrétiens nous le sommes à moins que les autres que nous chantons à longueur d'années, les autres, autres vraiment, ceux qu'après tout nous n'aimons pas, ceux avec lesquels nous ne vivons pas, ceux avec lesquels nous n'habitons pas, ceux pour lesquels nous avons une condescendance souriante, ceux dont nous faisons mine d'aimer la culture, ceux qui nous font pleurer de tendresse avec des larmes de crocodile, ceux-là même que nous avons mis au pinacle, comme étant les plus propres à nous représenter, parce qu'ils sont autres justement, sans que nous nous rendions compte que nous sommes là dans une schizophrénie acrobatique  : l'altérité comme figure de l'identité, je ne serais moi qu'en étant un autre; que ces autres, donc, pour lesquels je dois avoir cet amour sympa et mou - nous sommes loin du "aimez vous les uns les autres", cet amour-là avait la croix pour sceau, autrement dit le don suprême - nous lavent une bonne fois de ce qu'il nous reste de christianisme. Et alors, on remballe tout, les flons flons et les chants, fini la fête ! Parce que ces autres ne sont pas schizophrène eux, et n'ont rien d'adorateurs aveugles de l’altérité molle.



"L'entrée du Christ à Bruxelles" est un tableau du peintre belge James Ensor




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