samedi 31 mai 2014

Amour, islam et compagnie.

Disons-le d'emblée, nous aurons au moins ainsi la franchise d'afficher le propos : l'islam n'est pas une religion d'amour. Ajoutons tout suite qu'il ne faut pas nécessairement qu'une religion soit une religion d'amour. L'amour, en effet, n'entre pas, essentiellement, dans la définition de ce qu'est ou peut être une religion. C'est un tic chrétien qui nous fait croire que l'amour appartiendrait essentiellement à la religion de telle sorte que, si elle en était dépourvue, elle serait, au pire, une religion de haine ou, au mieux, rien du tout.

Si l'islam n'est pas un religion d'amour, il n'est pas davantage une religion de haine. Je le dis sereinement, mesurément, sans passion aucune. Et, à propos de l'islam, c'est ici aussi le pli chrétien, d'ailleurs assimilé par les musulmans vivant en pays d'ancienne chrétienté, qui fait dire qu'il est une religion de paix et de tolérance. On entend d'ailleurs en arrière fond un "aussi" qui n'est jamais dit explicitement : l'islam est "aussi" une religion de paix, de tolérance et d'amour. Aussi ! C'est donc avec le christianisme que l'islam entre en concurrence sur un terrain, une thématique, un mobile qui est propre au premier. A vrai dire, il n'y a qu'une religion d'amour, c'est le christianisme, et nous allons dire pourquoi. Quand à la paix, elle peut avoir plusieurs définitions, de telle sorte qu'elle puisse être comprises de multiples manières et, qu'en conséquence, on puisse dire que l'islam est une religion de paix, sans préciser d'ailleurs comment il l'obtient et ce qu'il obtient en l'obtenant. Pour la tolérance, on dira tout de suite ce qu'on envisage par cette notion et qu'on l'applique à l'islam. Non pas à l'islam vaguement acclimaté à nos langueurs philanthropiques, elles-mêmes infusées dans un christianisme dévirilisé, mais l'islam de là-bas, celui qui se réclame de la filiation sans corruption du prophète.

L'islam est tolérant. Du moins, un certain islam. Cette tolérance est coranique, autrement dit, elle se fonde sur la révélation faite à Mahomet. Mais cette tolérance, dans son expression  finale, résultat de l'abrogation des versets, est une tolérance coûteuse. L'islam orthodoxe n'est tolérant qu'avec une contrepartie d'impôt et des restrictions d'exercice de culte pour les juifs et les chrétiens, puisqu'on envisage, pour les autres, aucune espèce de tolérance. On dira que le christianisme, lui-aussi, pratiqua, historiquement, une espèce de tolérance - qui est un visage de l'intolérance - très semblable à celle que devrait pratiquer l'islam. Certes, cela est vrai. Mais la grande différence, en ce domaine, entre l'islam et le christianisme - et c'est d'ailleurs, souvent le cas - est que le christianisme ne fonde pas sa pratique historique sur une révélation, mais sur des considérations purement humaines et donc sujettes, comme telles, à caution et à critiques. L'islam, quand à lui, fonde sa pratique sur la révélation, autrement dit sa pratique est fondée non pas théologiquement, mais divinement. Sa pratique est de droit divin, du moins se l'imagine-t-il.
La tolérance suppose une idée nette et claire de la vérité, ou de ce que l'on croit tel, suppose d'avoir des principes clairs dans un premier temps pour, dans un second temps, admettre que puisse coexister avec la vérité, avec la clarté des principes, une manifestation de l'erreur et du flou, voire du doute. La tolérance, c'est donc admettre que la vérité ne puisse pas toujours et partout se manifester dans toute sa splendeur. Et qu'aussi bien ici que là, qu'en celui-ci ou celui-là, mais aussi en moi-même, coexiste avec la claire vérité une zone d'ombre. La tolérance peut aussi être considérée - et c'est d'ailleurs son acception moderne - comme le marché libre de toutes les opinions qui se valent parce qu'elles sont des opinions. Évidemment, dans ce cas de figure, il ne s'agit plus de vérité, ni de clarté, ni de principes distincts, mais d'une mollesse d'adhésion, d'un scepticisme dogmatique, et d'un relativisme fou.  L'islam n'est tolérant d'aucune de ces façons. Dés lors que l'on admet que la révélation vient directement d'en-haut sans réel truchement, on ne peut professer une tolérance relativiste, cela est évident, mais pas davantage une tolérance pragmatique. Si l'islam est tolérant, c'est dans l'attente de ne l'être plus.

Contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire, la religion mahométane ne s'est pas imposée par la seule force de conviction : le cimeterre et l'épée furent les outils de la propagation fulgurante de la religion nouvelle. On me dira que pour le christianisme ce fut pareil. Certes, il y eut, historiquement, des réalisations comparables. Mais ici encore, le mode de propagation de l'islam est de droit divin tandis que, pour le christianisme, une imposition de la foi par la force est un non-sens fondé sur aucun écrit biblique. Du reste, les apôtres et les premières générations chrétiennes n'ont œuvré à la propagation de la religion du Christ que par la force de la conviction, le témoignage d'une fidélité jusqu'à la mort, s'il le fallait : être tué, plutôt que de tuer. La "pax islamica" n'est rien d'autre  que le silence des armes après que la transcendance divine soit imposée à tous par un bras armé s'il le faut.
"Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix. Je ne la donne pas comme le monde la donne" ; cette parole du Christ au soir de sa vie terrestre est, pour le chrétien, le source de toute paix. Elle trouve sa source dans le don absolu du Christ en croix. Aussi la pax christiana est la paix de la croix, la stabilité dans le signe du don absolu, qui recouvre la hauteur, la profondeur, la largueur de ce qui appartient au ciel et à la terre. On ne peut concevoir la paix chrétienne comme un silence des armes.

L'amour, quand à lui, appartient en propre au christianisme. Une certaine forme d'amour du moins ; sa réalisation la plus haute. Le paganisme connaissait l'amour, il connaissait même plusieurs amours : l'éros et la philia. L'islam connaît un certain amour lui-aussi : une version monothéiste de l'éros, très proche d'un patriarcalisme de bédouins (je ne parle pas ici de l'amour chez certains mystiques musulmans, tous hérétiques, du reste ; je ne parle que de l'islam orthodoxe).
Le christianisme originel ne connaît pas l'éros. Il s'en méfie même, pour des raisons claires qu'il seraient fort long de développer ici. Cependant, sous l'influence de la philosophie antique, il s'ouvrira progressivement à la conception "érotique" de l'amour, non sans lui avoir fait subir une critique à la lumière de ce qui, pour le christianisme, est l'amour fondamental, le seul à vrai dire : l'agapè, traduit en latin par caritas et en français par charité. Il va sans dire que cette "charité" n'a rien à voir avec la main tendue que l'on remplit. L'agapé c'est l'amour qui trouve sa source en Dieu et qui s'exprime, non pas sur un mode humain mais sur un mode proprement divin. Cet amour trouve sa source en Dieu parce qu'il est Dieu. L'agapé est ainsi l'essence même de Dieu, de telle sorte que pour Dieu, être et aimer est une seule et même chose. Dieu ne saurait pas être autre chose qu'Amour d'agapé, que charité. Et c'est cet amour-là qui est tout puissant, omniscient, éternel, créateur, miséricordieux, et juge. Être semblable à Dieu est devenir soi-même charité, c'est passer par-delà l'éros, par delà la philia ( mais avec l'un et l'autre) pour n'être plus qu'agapè. Mieux, c'est conduire l'éros et la philia, puisque nous sommes humains, jusqu'à l'agapé, point d'ébullition de la grâce chrétienne. La charité est une vertu théologale (avec la foi et l'espérance), c'est même la plus grande, parce qu'elle vise l'être même de Dieu. Un chrétien qui ne serait pas "agapéïque" ne serait tout simplement pas chrétien. Rien de tel en islam ! L'amour islamique n'a strictement rien à voir avec Dieu, puisque, pour l'islam, Dieu n'aime pas, son être n'entretient aucun rapport de près ou de loin avec l'amour aussi les mots de saint Jean  " Bien-aimés, aimons nous les uns les autres; car l'amour est de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est amour. L'amour de Dieu a été manifesté envers nous en ce que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui" sont une aberration métaphysique et un blasphème théologique.


L'islamisme - j'entends par là, non pas une pratique excessive de l'islam, mais la promotion de l'islam sur une base de méconnaissance et de l'islam et du christianisme - n'est un danger, n'a de force, que par la diminution de la conscience chrétienne. C'est la foi qui a diminué quantitativement et qualitativement, mais c'est aussi la culture chrétienne, la culture qui fut la nôtre informée par le christianisme, sa philosophie, sa morale, son esthétique théologique, sa théologie, qui disparaissant entraîne, conséquemment, l'islam à se répandre sans rencontrer de résistance. L'islam est une religion de force, une révélation forte et acritique, qui évidemment s'impose à la mollesse, à la perte d'âme, au manque de souffle - spiritus en latin, esprit en français - d'une culture que le christianisme a désaffecté, tout d'abord, et à la foi qui n'existe plus que de manière résiduelle, ensuite.
Je me disais l'autre jour en observant des gens à la terrasse d'un café : combien parmi eux s'inquiètent du salut de leur âme ( l’interrogation est formulé en termes traditionnel, je pourrais la formuler autrement, mais soit ) Combien même se posent la question d'un salut ? Combien sentent le besoin d'être sauvé, d'autre choses que des rides, d'une libido en berne, d'un iphone qui ne fonctionne plus, d'une maison qu'il faut entretenir... ? Combien ? Et pourtant, il n'y a pas si longtemps, cette question du salut, était capitale. Aujourd'hui lorsqu'il m'arrive de parler de cela avec l'un ou l'autre, athée ou agnostique, je sens très bien que la notion de salut, elle-même, n'est plus comprise. Une civilisation qui n'a plus besoin du salut est une civilisation qui déjà est morte.


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