lundi 14 novembre 2011

Carnet de voyage : Italie, Prague

 On trouvera ci-après deux textes publiés ailleurs. L'un concerne l'Italie et l'autre Prague.

"De l'Italie, il semble que tout déjà ait été écrit et que rien de nouveau ne puisse se dire. C'est si vrai que toute oeuvre touchant à ce pays, et Rome ou Florence, et Venise ou Naples, et la Toscane ou la Sicile, et tout le reste : les fleuves, la cuisine, les paysages, les villes et les villages, les gens eux-mêmes, que tout livre ouvert relatif à cette autre péninsule, nous fatiguent, nous lassent déjà, sans même avoir eu le temps d'en parcourir une ligne.
Ce n'est pas tant que tout soit faux, mais plutôt que toute cette littérature "italophile" soit la collection de lieux communs, de vérités déjà, hélas, quelque peu éventées. Aussi nous n'avons plus envie que l'on nous chante le refrain de la beauté de l'Italie, toujours sur le même ton et le même mode, cela a déjà été suffisamment chanté.



L'on aimerait plutôt voir l'Italie revenir à un lourd sommeil duquel il n'aurait pas fallu la tirer, voir Venise redevenir un pays inconnu, avoir oublié les frémissements glauques de l'eau, oublier Rome également et son faste, qui n'a nul besoin d'être pluriel, le singulier en disant déjà trop, oublier Naples et son chaos. On aimerait, si fortement, que Florence fut lointaine, et la Toscane une terre agreste uniquement, et que l'Ombrie fut enveloppée de ténèbres. Nous voudrions voir s'endormir, une belle fois, le pays italique dans cette torpeur originelle, faite de moiteur ou d'aridité, mais de lumière blanche partout, partout sous un ciel d'argent. Nous voudrions être encore aux temps frustes et renfrognés des visages italiens, de la superbe et de cette espèce de violence  fière.

Hélas, l’Italie est devenue un bibelot, un joli miroir dans lequel une certaine Europe se regarde contente d'elle-même, une Italie qu'elle a "fait" comme elle fait tout le reste, de vacances en RTT, d'années en années. Le monde est ainsi transformé en une terra communis qui ne révèle plus rien.

Alors le livre, qui voulait me parler, une nouvelle fois de cette Italie-là, m'est tombé des mains et; après un soupir de lassitude, je m'en suis retourné, fermant la porte de la librairie, mélancolique. Il pleuvait et Paris était froid." mars 2011


" Il est des lieux au monde où, semble-t-il, quelque chose vous attendait. Depuis adolescent, j'ai toujours eu pour Prague un attrait difficilement explicable. Serait-ce à cause de Kafka, cet autre Pessoa de l'est? Mais à l'époque je connaissais mal le premier, et j'ignorais encore le second. Était-ce donc le baroque, que je commençais à aimer? Était-ce plutôt la sonorité qui pour mes lobes cérébraux, et plus encore pour mon inconscient, portugais, résonnait en "praga", autrement dit en "plaie" ou mieux en "fléau" au sens où l'on parle, par exemple, des dix plaies d’Égypte.
En tout cas, le mystère faisait sont œuvre dans le cœur de l'adolescent romantique que j'étais. Je voyais Prague voilée de brumes et de pénombre. Elle l'est, paraît-il, parfois, mais je ne l'ai jamais vue ainsi, au contraire, je ne l'ai découverte qu’inondée de soleil.




 On a vanté Prague, et oui elle est une ville magnétique, ésotérique même. La seule chose qui à Prague gâche Prague c'est la horde de touristes qui parcourent, en un flux constant, le labyrinthe de la vieille ville, le pont Charles, les hauteurs du château. Impossible de faire un pas sans être mêlé à la foule curieuse et pixelisée. Les architectures bohèmes, déjà enclines à la pâtisserie, deviennent alors, parfois, insupportables. Il semblerait que tout ne soit que carton-pâte tout exprès monté là pour le plaisir des voyageurs low-cost que nous sommes tous en train de devenir. Il peut y avoir alors surdose d'anges, d'or et de saints, de vert pistache, de bleu lavande, de rose framboisé et de ces jaunes dragée.
Que faire alors? Se lever aux aurores, partir par les rues sans guide et sans plan, attendre qu'une église ouvre pour une messe matinale, en franchir la porte et surprendre le vol silencieux des anges pragois, qui soudain, redeviennent ce qu'ils sont : les hérauts d'une religion jubilatoire.

Et là, arrive ce quelque chose qui vous attendait. Pas le fléau entrevu par cet autre langage qu'est l’inconscient, ni la plaie ou alors celle que fait le doux amour lorsqu'il vous effleure aux murmures d'une messe basse dite par un frère de saint Dominique. Et cette plaie-là, on voudrait qu'elle ne guérisse jamais." mai 2011

dimanche 13 novembre 2011

La violence et l'occident.

Voici une libre réaction à cet article (http://www.montraykreyol.org/spip.php?article4547) dont le lien à été posté par un de mes contacts facebookien.

Tout racisme, et toute ségrégation en raison de la race, est odieux, cela est entendu et on ne peut qu'y souscrire. Cependant, il est passablement mensonger de toujours et encore présenter l'homme occidental et européen, et la culture qu'il a élaborée, et qui l'a élaboré, comme le grand méchant, la figure parfaite de la violence, de toutes les violences dans le monde.

Sans discuter le sujet précis de l'article, il faut tout de même largement nuancer les allégations de l'auteur. N'importe quelle société humaine engendre de la violence, et n'importe quel être humain est posséder, parfois, par des accès de violence. Croire que c'est largement le seul fait de l'occident est une illusion de l'esprit.
Bien avant que Cortès ne pause le pied en Amérique du Sud, les Aztèques étendent leur empire aux prix de multiples violences sur les tribus voisines. Les conquistadors venus, ils seront aidés par les ennemis des Aztèques.
Les violences contre les juifs n'ont pas toujours été le seul fait des occidentaux, c'est une parfaite bêtise de dire cela : ainsi les Perses qui les exilèrent, ainsi aussi de Mahomet qui à de multiples reprises, pour l'une ou l'autre raison s'en prend directement aux juifs de Médine, allant jusqu'à faire décapiter 600 à 700 hommes tandis que les enfants et les femmes sont partagés, comme un butin. Le tout, bien sûr, soutenu par la "révélation" coranique. Et puisque nous en sommes aux musulmans que dire de l'esclavage qu'ils ont pratiqués bien avant que nous nous remettions, en occident, au même trafic ignoble d'être humain?
En Afrique noire, croit-on qu'il fallu attendre la colonisation occidentale, pour voir naître la violence sur ces terres-là? Des tribus se levaient contre d'autres tribus, et au passage, il en est toujours ainsi : Rwanda, Côte d'Ivoire, ne sont que des exemples.
Passons à l'Asie, où l'Inde, par exemple, fait preuve d'une violence parfaitement admise par tous, celle des castes. La Chine a pu étendre son empire par les voies de la violence et par la soumission forcée d'autres êtres humains.



On le voit donc, la violence n'est pas le fait de l'homme occidental seul, ni le racisme. Cela serait, si l'on peut dire, trop beau. Mais je ne sais pourquoi dans certains esprits, il faut que survive à tout prix, même à celui du mensonge, le mythe imbécile du bon sauvage, et son pendant de l'occidentalophobie.

Nous aimons battre notre coulpe, nous aimons nous considérer comme les grands diables de l'histoire, ce qui n'est, qu'après tout, qu'un orgueil inverti. Nous ne sommes pas pires que d'autres, nous avons été plus expansifs que d'autres et notre violence a été à proportion.

Réne Girard a très bien montré tout cela, mais qui lit René Girard? On préfère en rester à la doxa simpliste : occidental = méchant, le reste du monde = gentil.

mardi 8 novembre 2011

Des clefs cachées du génie européen.

Elles sont trois, peut-être quatre, mais je n'en suis pas sûr, je n'arrive pas à me décider, et pourtant j'ai bien tout soupesé. Mais bon, oui, elles sont d'abord trois, ça j'en suis certain. Trois villes européennes capitales pour la compréhension d'une histoire qui ne se voit pas. Je ne parle pas ici de la grande histoire avec son grand "H" et son grand "G", pas plus que de la petite histoire d'ailleurs, je parle de celle qui se joue à l'ombre, dans le secret, en sourdine, à l'obscure, souvent aux marges, mais qui imprime sa marque plus sûrement que celle qui s'étale au plein soleil. Celle-ci donne un corps, celle-là fonde une âme. L'une donne un cadre, l'autre  un esprit. Trois donc : Rome, Lisbonne et Prague. Quatre, peut-être : Venise. Les autres, toutes les autres, n'y peuvent rien, restent au soleil de l'évidence.

Rome d'abord. Pluri-capitale. Un empire absorbé par une doctrine orientale. Une puissance digérée par l'éloge de la faiblesse. Un système centrifuge assimilé par un système centripète. La Rome impériale rendue à la Rome chrétienne. En ce sens, Rome possède la clef d'une alliance paradoxale, où la force des forts est vaincue par celle des faibles. Rome donc est le cœur pulsant de notre civilisation, et elle renferme une des clefs de la compréhension de ce que nous sommes comme occidentaux.



Et si les légions de l'empire ne sont point allées partout, celles du Christ sont allées plus loin mais toujours en référence à Rome. Et lorsque la réforme protestante arrachera l'Europe du Nord au catholicisme, ce sera encore en référence à Rome, au moins pour s'y opposer. Rome donc est une matrice d'idées et de génies.

Lisbonne. Capitale d'un pays qui en réalité ne l'est que par volonté humaine. Un pays qui a toujours cru à son existence providentielle, c'est-à-dire simultanément à sa faiblesse et à sa force. Sa faiblesse, puisqu'il a besoin d'une Providence pour établir sa légitimité à être; sa force puisque s'il est, il est par élection providentielle. Un destin donc s'offre, ou plutôt s'impose à lui : l'autre. L'autre qui est d'abord proche, ensuite  lointain, avant que ce ne soit le Tout Autre.



Lisbonne héritière européenne de la sagesse juive, porte en elle, une autre des clefs de ce que nous sommes. Dans son génie très particulier, le Portugal allie la découverte de l'autre et le culte du soi. Il offre une mystique de la découverte qui façonne l'âme européenne, par la création de nouveaux mythes. Enfin, Lisbonne fut matrice d'autres civilisations et point de départ de l'expansion d'un imaginaire fortement influencé par le crypto-judaïsme.

Prague. Capitale d'empire, elle aussi. Point de rencontre entre l'ouest et l'est. Ni au levant exactement, ni au couchant, ni latine, ni allemande, ni romaine, ni protestante. Rendez-vous de l'alchimie et d'une certaine Kabbale, Prague est pour cette partie de l'Europe ce que Lisbonne est pour l'autre.



Mais ce que Lisbonne a acquis sur les mers, Prague l'a obtenu dans le silence de l'âme. Si pour Lisbonne la mer est une figure psychique, pour Prague c'est l'âme qui est figure du voyage.

Et Venise? Je ne sais. Certes Venise est à cheval entre deux mondes : occident et orient; elle possède un génie propre assez comparable à celui de Lisbonne. Cependant, elle reçu de Lisbonne, sans le vouloir, une partie des clefs. Alors que faire, la compter ou non?

 Et Londres, et Paris? Et bien, deux villes importantes certes mais qui, comme je le disais, sont importantes à un autre niveau. Elles sont de l'ordre du connu, de l'éveil, du conscient. Rome, Lisbonne, Prague, et peut-être Venise, sont de l'ordre, du méconnu, du sommeil, de l'inconscient; pour tout dire du voilement. Or une civilisation est toujours composée de choses évidentes et dévoilées, et d'autres voilées et sibyllines. Et ces dernières, dans l'ordre de l'esprit, sont capitales.

vendredi 4 novembre 2011

Du blasphème en une société irréligieuse

Théâtre de la Ville : un groupuscule de catholiques lefebvristes - mouvance aux marges du catholicisme, qui recueille un peu tout et n'importe quoi - font  un "sitting" priant et vilipendant : de l'huile de vidange, des œufs pourris croisent les chapelets pour ses insurgés d'un type non-recensé.  Il faut dire que la cause de leur énervement n'est pas chose qui puisse être prise en compte, elle est tout simplement hors-champ, tandis qu'eux croient encore que la France est en régime de chrétienté. D'un côté donc, on tient encore à une chimère, incapable de faire un deuil salutaire, de l'autre, on considère l'objet de la colère comme un non-lieu.

Siège de Charlie-Hebdo : Saccage et dévastation. L'objet de la colère ? Sans doute la une du journal jugée islamophobe. Une "une" moquant la Charia, autrement dit les sources du droit musulman : le clair chemin pour aller dans la voie de Dieu.

Les deux cas peuvent rencontrer des similitudes. Les uns et les autres, les deux groupes de mécontents, invoquent le blasphème. Pour les autres, pour ceux qui sont à l'origine de la colère, la notion même de blasphème n'opère pas.
Chez les mécontents, quoi qu'avec une intensité différente, la violence se fait jour. Au théâtre, par l'interruption de la pièce incriminée, le jet d'huile de vidange et d'œufs et pour Charlie-Hebdo, comme il est de coutume avec islam, les méthodes sont plus radicales. Cependant  l'objet qui suscite la colère  - et la portée symbolique de chacun d'eux - est différent. D'un côté, un visage sali, un visage tenu pour saint, sali, au moins symboliquement, et de l'autre les sources du droit données par Dieu ou supposées telles.


La différence est de taille. Le visage humain du Christ est tenu pour l'ultime signification du divin pour les catholiques. Pour les musulmans, c'est le droit qui, en l'espèce,  est tenu pour divin. On pressent là que cette différence de perceptions fonde une différence culturelle considérable. Et la violence qui découle de la colère de l'un et l'autre groupe est en conformité avec la dérision ou l'importance de l'objet du scandale. Un visage c'est quoi ? Peu et tout. Peu, ce n'est qu'un détail, et tout :c'est le détail qui fait la différence. Au supposé blasphème, on répond en définitive avec des moyens dérisoires. Le droit qu'est-il? Des règles, des règlements, un cadre, une ordonnance et qu'il soit donné par Dieu, ne change rien à l'affaire :  il s'agit de quelque chose de bien relatif (et en ce sens il ne peut être donné par Dieu, ou alors qu'à titre pédagogique, comme la Loi le fut pour les juifs), relatif mais s'il est donné par Dieu il devient absolu. Au supposé blasphème, contre ce qui est considéré comme ordonnance absolue, on répond - si cela est prouvé- par  le saccage d'un immeuble au mépris de la vie de ses habitants.

 Le visage n'est rien. Et il s'agit d'un visage humain, miroir de la transcendance pour certains, quoi alors? Un relatif, hyper-relatif qui dit l'Absolu, sans jamais se départir de son relatif : le Christ n'est qu'un parmi beaucoup. Un détail mais un détail différAnt. Le Droit est tout, le cadre est tout, les prescriptions sont tout, comme est tout le chemin pour le voyageur, il s'agit d'un absolu absolu, surtout quand il est réputé être donné par Dieu. Un visage d'un côté, des règles de l'autre, le relatif absolu d'un coté, l'absolu qui ne peut être relativisé de l'autre. Des œufs pourris là, le feu et le saccage ici.

De blasphème, il ne saurait en avoir que dans une société religieuse. Or, la nôtre ne l'est plus, conséquemment il ne peut être question de blasphème, en tout cas pas pour les auteurs des œuvres en cause. Il peut y avoir irrespect, haine, tout ce que l'on veut mais blasphème aucunement. Nous ne sommes plus en régime de chrétienté et pas encore en régime islamique. Donc, dans la cité, la liberté de parole est de mise, au risque de déranger. Si ce droit existe, un autre lui fait face, celui de répondre, pacifiquement, à ce que l'on juge être une insulte aux convictions morales ou spirituelles. Il faut définir ce que l'on entend par "pacifique" dans une société où l'image tient une place considérable, et où on a l'impression que c'est celui qui crie le plus fort qui a raison. Toujours est-il que le pacifisme en matière d'opinions religieuses commence toujours par entendre la critique qui est faite à ces opinions. Il n'est pas sûr que la pièce en question soit une insulte au Christ, comme il n'est pas sûr qu'elle ne puisse pas ne pas être interprétée comme une insulte. Le problème avec des œuvres comme celle-ci, c'est leur pluralité d'interprétations, cela en fait leur richesse et leur faiblesse. Le cas de Charlie-Hebdo est différent, nous sommes là, de fait, dans la provocation pure et simple, comme il en sera bientôt question avec Golgotha pi-nic. La liberté de la presse, même parodique, la liberté de l'art, la liberté de croire, et de ne pas croire, la liberté de critiquer ce que l'on veut, la liberté de répondre à la critique, la liberté oui, mais que ne justifie aucune violence. Et s'il fallait choisir, c'est encore la position du Christ en son procès qui est la meilleure : "Si j'ai mal parlé, montre-moi en quoi j'ai mal parlé, mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappe-tu?"



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mercredi 2 novembre 2011

Pipi-Jésus ou les fluides de l'art-contemporain.

La semaine sainte commence, et à Avignon, en la Fondation Lambert, dédiée à l'art-contemporain, on croit aux miracles... Une oeuvre fait scandale, une oeuvre pourtant déjà connue, Piss Christ d'Andres Serrano : un crucifix comme il en existe tant est plongé dans un récipient contenant de l'urine. La métaphysique est abyssale et la portée du "geste" est proprement transcendante... de quoi retourner un cerveau, je vous jure.
Y a-t-il blasphème? Pour le performeur, s'il n'a pas la foi, il ne saurait y avoir blasphème; pour lui le crucifix est un objet lambda ayant, à la limite, mais pour d'autres, une valeur religieuse. Le blasphème ne peut se définir qu'en rapport à la foi. Y a-t-il manque de respect pour les valeurs d'autrui? Certes, oui. L'art peut-il tout faire, tout dire, autrement dit est-il exempté  de morale? Certains le pensent. La question est délicate. Personnellement, je ne pense pas que l'art est une espèce de zone franche où tout peut être fait, dit, exprimé. D'ailleurs le droit va dans ce sens, puisqu'il affirme l'indisponibilité du corps humain même pour l'art. L'art donc est soumis à des restrictions morales. Qu'en est-il du rapport de l'art à la religion, ou au sacré, ce qui n'est pas la même chose. A l'artiste on ne peut demander, ni la défense des idées religieuses qui ne sont pas les siennes, ni la neutralité pour des idées qu'il ne partage pas. On ne peut pas plus lui demander le respect du sacré, chose qui, peut-être pour lui ne veut rien dire. Mais on peut sans doute lui demander un minimum de respect pour ceux qui croient.



Si heurter ou provoquer est le seul but d'une oeuvre, si bousculer les idées religieuses de certains est le seul but d'une performance, alors l'oeuvre elle-même ainsi née ne mérite pas plus de respect que celui qui fait défaut à  l'artiste. Une oeuvre ne se définit pas seuleument par sa capacité à provoquer. Il semble pourtant que ce fait constitue le fin fond de certaines attitudes en art-contemporain.
Le Piss Christ est sans doute de celles-là. Personnellement, je n'attache aucun importante à cette oeuvre-là, qui n'a de "valeur" qu'en fonction de sa provocation. Je n'y vois pas non plus un blasphème. Mais un signe de bêtise et j'exprime une fin de non recevoir ce geste qui ne me dit rien, ni sur le sacré, ni sur l'homme, ni sur l'art. Plonger un objet dans de l'urine, après tout, est d'un niveau enfantin, et quand bien même cet objet serait un crucifix ou une madonne de Lourdes, cela ne change rien : on pratique l'ondinisme imaginaire, une image de type sacrale immergée dedans le produit de nos reins - après tout Dieu sonde les reins et les coeurs - pour produire une nouvelle image, qui en soi n'est pas dénuée de beauté (le canada dry aurait fait le même effet). Mais voilà s'il n'y avait le symbole, ce fameux symbole plus réel parfois que le réel lui-même. La nouvelle image est fétichiste, insultante, et idolâtre. Et c'est en raison de cela, que des chrétiens sont heurtés par l'image produite, fruit de l'artifice. Cela dit, fallait-il la détruire? Certes non. La détruite c'est lui donner une importante qu'elle n'a pas. Et puis, je rappelle aux bonnes âmes catholiques, que le Christ, s'il n'est pas descendu, dans nos excréments, est descendu dans ce qu'il y a chez nous de plus abject, dans les enfers de nos vies, du monde, et de l'art.

De la plus belle ville du monde.

Ceci est un billet d'humeur.

A quoi donc juge-t-on de la beauté d'une ville? Son site naturel, son architecture, son urbanisme, le génie de ses gens... voilà sans doute quelques critères qui participent de la beauté d'une ville. Et puis, aussi, quelque chose de plus subjectif, comme une sympathie entre l'esprit des lieux et ce que nous portons en nous.
Alors donc, la beauté d'une ville, n'est pas uniquement due à des critères objectifs. Ceux-ci participent plutôt à l'esprit du lieu, le forment, le cadrent, le donnent à voir.

On le dit, on le redit, et dit encore, jusqu'à l’écœurement, Paris serait la plus belle ville du monde. Les Parisiens surtout le disent, et quelques autres qui font chorus. On le dit, on s'en persuade, on en est sûr, Paris est la plus belle ville du monde.Le doit-il à son site naturel? Les rives du Seine canalisée, où le fleuve, serti dans un corset de bâtisses, comme le buste d'une coquette des temps jadis, ne respire plus, étouffe presque? Le doit-il à son architecture essentiellement XIXe, sa monumentalité excessive? Peut-être le doit-il à son urbanisme perspectiviste, ou, au contraire, à sa sur-construction? A cette avenue "la plus belle du monde" - ça vire à la manie- qui n'est devenue qu'une plateforme de la monstrance et de l'étalage parfois vulgaire ? A moins que ce titre ne soit dû, tout simplement, à la délicatesse de mœurs de ses gens?

Le site naturel de Paris avait de quoi séduire certes : un fleuve large, des îles, des marais, des collines... La lecture en est aujourd’hui à peine visible, et du site, il ne reste plus que la longue veine aqueuse sur laquelle se presse, tel le cholestérol, bâtisses et encombrements routiers.

L'architecture parisienne est monotone. Certes il y a des monuments - je connais peu de villes aussi monumentales - placés ici et là, pour, précisément, faire monument - tout le génie du XIXe- L'église de la Madeleine par exemple - que l'on ne peut trouver belle- placée au centre même de la place du même nom, faisant de cette place une monstruosité urbanistique. Pareillement de l'Opéra, qui, toutefois, repoussé plus au fond de la place, respecte un peu plus la manière traditionnelle de concevoir une place, mais qui trouve devant lui un espace démesurément grand où s'étale la plus belle pagaille urbaine que je connaisse. A moins qu'elle ne se trouve à la Concorde - qui n'est belle que de nuit - qui au plein soleil, n'a rien de vraiment beau, elle n'est après tout, qu'un foirail aménagé avec quelques bibelots. Et comment pourrait-être belle une ville avec si peu d'enduits? (argument moyen, je sais, mais argument tout de même)

L'urbanisme de Paris, on le sait, doit beaucoup à un certain baron. L'obsession, toute française, paraît-il, de la régularité, de la mesure, du bel ordonnancement, de la perspective surtout, a sacrifié des pans entiers de la vieille ville. Le XIXe a dessiné le Paris actuel. En soi, ce n'est pas un mal loin de là. Mais cette manie de la perspective se lisant partout, fait de Paris une ville qui se montre. Il faut croire que c'est tout là son génie : se faire voir, s'afficher !

Ses gens l'on bien compris d'ailleurs, puisque nous sommes ici dans le royaume de la pose, l'empire de la posture. Voir et être vu, voilà l'esprit parisien. Les terrasses ne semblent être faites que pour cela; car quoi, installer des chaises et des tables sur à peine deux mètres carré de trottoir, et y séjourner qu'il pleuve ou qu'il gèle, ne viendrait à l'idée de personne, à moins d'avoir un mobile supérieur qui fait que l'on soit tout disposé à souffrir l’exiguïté, la promiscuité, et les affres météorologiques. Le mobile existe : se faire voir.

Peu de villes présentent une masse humaine aussi gluante que Paris. Si Londres connaît aussi les masses, un je ne sais quoi de la civilité britannique, fait que les individus sont toujours à quelque distance les uns des autres, dans le respect, élémentaire, d'un espace vital. Ici, rien de cela : on se colle à vous, s'installe presque sur vos genoux, on vous impose son corps, sa voix, ses conversations, sa musique, comme s'il fallait absolument fusionner. Cela est aussi vrai sous terre qu'à la surface. Toujours il faut faire corps, avancer ensemble, collés-serrés, dans une espèce d'excitation vaine, d'urgence du pas et du geste, de volume du corps groupal et de la voix. Une "hybris" toute parisienne... une ivresse non pas de la vitesse, mais de l'affairement. Paris est un agenda qui déborde. Aussi, beaucoup de Parisiens sont peu aimables n'ayant pas le temps de l'être, trop pressés, trop "over-bookés", trop "full-up".



Paris la plus belle ville du monde? C'est une boutade? Mais pourquoi alors répéter, à longueur d'années, cette assertion qui vaut pour vérité révélée ? Pourquoi donc Paris fascine-t-il? Puisque, au final, c'est bien de cela qu'il s'agit, de fascination.

Sans Paris, la France, serait sans doute un autre pays; et l'Europe sans cette France-ci un autre continent. Le monde serait sans doute autre chose sans cette Europe secrètement dirigée vers Paris. Dans cette configuration, on fait fi d'Athènes qui pourtant joua un rôle, et non des moindres, dans l'élaboration de notre culture. On passe sous silence Rome, l'impériale, source du droit, et la catholique qui imposa ses concepts théologiques passés depuis dans notre bagage culturel commun. On tait le rôle de Madrid capitale d'un empire sur lequel les rayons du soleil ne connaissaient pas de répit. Je ne parle pas de Lisbonne tête de proue d'un pays qui apporta "de nouveaux monde au monde". Et Londres, encore, tête d'un empire multiracial, berceau du pragmatisme et de l'empirisme moderne.  Aux yeux de tout cela, Paris semble tout d'un coup, bien pauvre. Et pourtant, force est de constater que Paris, oui, joue un rôle capital dans la formation culturelle européenne.

La seule chose qui soit arrivée d'original à la France et en France, ce fut le règne exceptionnel de Louis XIV. Quand je dis "original" je ne veux pas dire que ce qui précède ne le fût pas, mais ce qui précède peut trouver facilement des équivalents ailleurs. Il n'en va pas de même avec le règne de Louis XIV. Rien en Europe et au monde ne peut lui être comparé. Profondément baroque, Louis XIV a su faire advenir quelque chose d'inouï, allant jusqu'à formaliser cette monstruosité politique "la monarchie absolue de droit divin". Il a vraiment été un soleil tant par la longévité que par l'impact lumineux de son règne. Paris est Paris, parce que la France est la France en raison de Louis XIV. En effet, depuis ce roi-là, tous les pouvoirs, impériaux, royaux, ou républicains, imitent Louis XIV. Le Roi-Soleil est le modèle caché et l'objet du désir français. Pas Louis XIV en lui-même dont on a que faire, mais ce qu'il symbolise.  Paris est Paris en raison de cette imitation : l'histoire, la succession des pouvoirs, politiques, culturels, artistiques, ont perpétué le désir, ils ont tous pointé un index vers la capitale française, elle devenait ainsi la "ville lumière". L'index pointé désignait Paris comme ville désirable, ville désirée donc, et le désir appelant le désir, ainsi se perpétue la fascination, le mythe d'un Paris capitale exclusive  de la culture et plus belle ville du monde.

La France moderne voit le jour avec ce règne de Louis XIV, enraciné à Versailles - en dehors de Paris me dira-t-on (cela ne change rien, Versailles n'étant qu'une "excroissance" de Paris, puisque "Paris" était surtout un notion, la cour était à Versailles, donc la capitale aussi, donc Paris).
Dégagée de ce mimétisme snob et menteur, comme presque tous les mimétismes, Paris redevient une ville parmi d'autres : belle sans aucun doute - et Paris est beau oui : ses hôtels particuliers, dont beau nombre datent de l'ancien régime, certaines perspectives plus authentiques que celles forcées de l'haussmanisme - possédant un charme qui lui est propre, comme d'autres villes, Paris redevient la capitale d'une France essentiellement provinciale et terrienne. Et à ce titre je rejoins Stendhal lorsqu'il déclare que "Bordeaux est sans contexte la plus belle ville de France".

lundi 31 octobre 2011

De la frontière comme nécessaire .

Toutes les frontières physiques ont quelque chose d'arbitraire. Que peut justifier qu'ici surgisse un terme et non pas là, qu'ici se posent des limites et non pas là ? La nature elle-même ne rend pas légitime le fait qu'une ligne frontière se dessine ici plutôt que là, puisque, à bien y regarder, les fleuves, les montagnes, les vallées, ne constituent pas toujours une frontière.

Les frontières physiques et politiques ont toujours quelque chose de relatif. Et pourtant, c'est dans les limites même de ce "relatif" que se dessine une forme d'absolu, au sens littéral. En effet, dans le dessin, relatif, de la frontière, dans le cadre, arbitraire, quelle dessine, par les aléas de l'histoire - violente souvent- des hommes, elle permet le surgissement d'une identité. Celle-ci possèdera les caractères absolus et relatifs qui sont ceux de la frontière. Dans le contexte des termes frontaliers se dessinent l'âme propre d'une collectivité humaine, et le génie de celle-ci n'est pas le génie de celle-là. La frontière, arbitraire et relative, est donc nécessaire - et des frontières il y en aura toujours- afin de permettre, dans un jeu de distance-proximité, l'apparition d'une identité commune propre et unique, et ce sens elle est absolue.




Le Portugal, dont les frontières actuelles sont les plus anciennes d'Europe, ne peut justifier physiquement son émergence sur la carte péninsulaire. Son existence politique est le fait d'aléas historiques et, sans doute, d'une volonté humaine. Le dessin de son contour géopolitique est arbitraire, mais dans les termes ainsi apparus, une frontière morale, nécessaire, absolue, a doublé la frontière politique. Si aucun fleuve, vraiment, aucune chaîne de montagnes, ne sont venus s'imposer comme lisères, les démarcations mises en place par les batailles, les paix signées, les traités, l'observation de la nature, il le fallait bien, se sont doublées d'une frontière spirituelle qui présente un caractère bien plus absolu et nécessaire que celle inscrite dans la matière. Et c'est précisément cette frontière, qui n'est pas appelée ici  "culturelle" qui justifie aujourd'hui la présence de la frontière physique, qui lui donne sa légitimité, en retour, de ce qu'elle permit d'accomplir.
Cette frontière morale ou spirituelle n'est pas culturelle. Dire d'elle qu'elle est culturelle serait encore la marquer de la relativité. La culture est une somme relative d'éléments mouvants, et plus que jamais mouvants. La frontière morale est un cadre absolu dans lequel,( et hors du quel aussi, ce cadre n'en étant pas un à proprement parler, mais plus un "milieu"), advient ici et maintenant, perpétuellement une identité commune. Cette identité advient dans le rapport de chacun à tous et de tous à la notion de limite, permis précisément par le marquage physique des frontières. La frontière spirituelle est à la fois le berceau et l'héritage de la collectivité, de cette collectivité-ci dans ce quelle a d'unique.

C'est ainsi que le Portugal se distingue de l'Espagne, et de la Castille surtout. Plus qu'un autre, peut-être, le Portugal a été jaloux de cette identité spirituelle, plus qu'un autre, il a tenu à son autonomie. Ses frontières arrières, celles avec l'Espagne s'entend, il les a défendues et consolidées, afin de pouvoir étendre au-delà de la mer ses frontières avants, qui en réalité n'en étaient pas. Si le reste de la Péninsule était bien un terme, une marque, l'océan et ses inconnues n'en furent jamais. Au regard de l'histoire européenne, il est étonnant d'ailleurs, qu'un territoire aussi petit, presque insignifiant, se soit très tôt constitué tête d'empire, et ce bien avant de posséder un empire effectif. Le Portugal historique ne pouvait pas ne pas se dilater, non pas physiquement, mais moralement, spirituellement. L'empire advenu n'est que la médiocre réalisation d'une mythologie d'une richesse exceptionnelle et sans doute unique en Europe. Cette mythogenèse est la source, la condition, et le mobile de l'expansion impériale portugaise; l'expansion, quant à elle, est l'impératif d'un génie propre "borné" par des frontières physiques relatives.

Il en va de nous aussi bien. Notre corps dans ses relatives limites marque une frontière, et ce malgré les amours, les embrassements, et les copulations : nous ne serons toujours que deux corps se rencontrant, mais la frontière physique signalera ici un absolu. Plus assurément que dans le cas d'une nation, notre corps, l'expérience du corps, nous révèlera l'absolu de la frontière morale. Et si nous voulons dépasser le cadre borné de toute frontière nous n'avons d'autre choix, heureusement, que d'instaurer un cadre spirituel qui permettre l'avènement d'une âme dilatée. Et à cette expansion, je ne vois pas de limite.