lundi 31 octobre 2011

De la frontière comme nécessaire .

Toutes les frontières physiques ont quelque chose d'arbitraire. Que peut justifier qu'ici surgisse un terme et non pas là, qu'ici se posent des limites et non pas là ? La nature elle-même ne rend pas légitime le fait qu'une ligne frontière se dessine ici plutôt que là, puisque, à bien y regarder, les fleuves, les montagnes, les vallées, ne constituent pas toujours une frontière.

Les frontières physiques et politiques ont toujours quelque chose de relatif. Et pourtant, c'est dans les limites même de ce "relatif" que se dessine une forme d'absolu, au sens littéral. En effet, dans le dessin, relatif, de la frontière, dans le cadre, arbitraire, quelle dessine, par les aléas de l'histoire - violente souvent- des hommes, elle permet le surgissement d'une identité. Celle-ci possèdera les caractères absolus et relatifs qui sont ceux de la frontière. Dans le contexte des termes frontaliers se dessinent l'âme propre d'une collectivité humaine, et le génie de celle-ci n'est pas le génie de celle-là. La frontière, arbitraire et relative, est donc nécessaire - et des frontières il y en aura toujours- afin de permettre, dans un jeu de distance-proximité, l'apparition d'une identité commune propre et unique, et ce sens elle est absolue.




Le Portugal, dont les frontières actuelles sont les plus anciennes d'Europe, ne peut justifier physiquement son émergence sur la carte péninsulaire. Son existence politique est le fait d'aléas historiques et, sans doute, d'une volonté humaine. Le dessin de son contour géopolitique est arbitraire, mais dans les termes ainsi apparus, une frontière morale, nécessaire, absolue, a doublé la frontière politique. Si aucun fleuve, vraiment, aucune chaîne de montagnes, ne sont venus s'imposer comme lisères, les démarcations mises en place par les batailles, les paix signées, les traités, l'observation de la nature, il le fallait bien, se sont doublées d'une frontière spirituelle qui présente un caractère bien plus absolu et nécessaire que celle inscrite dans la matière. Et c'est précisément cette frontière, qui n'est pas appelée ici  "culturelle" qui justifie aujourd'hui la présence de la frontière physique, qui lui donne sa légitimité, en retour, de ce qu'elle permit d'accomplir.
Cette frontière morale ou spirituelle n'est pas culturelle. Dire d'elle qu'elle est culturelle serait encore la marquer de la relativité. La culture est une somme relative d'éléments mouvants, et plus que jamais mouvants. La frontière morale est un cadre absolu dans lequel,( et hors du quel aussi, ce cadre n'en étant pas un à proprement parler, mais plus un "milieu"), advient ici et maintenant, perpétuellement une identité commune. Cette identité advient dans le rapport de chacun à tous et de tous à la notion de limite, permis précisément par le marquage physique des frontières. La frontière spirituelle est à la fois le berceau et l'héritage de la collectivité, de cette collectivité-ci dans ce quelle a d'unique.

C'est ainsi que le Portugal se distingue de l'Espagne, et de la Castille surtout. Plus qu'un autre, peut-être, le Portugal a été jaloux de cette identité spirituelle, plus qu'un autre, il a tenu à son autonomie. Ses frontières arrières, celles avec l'Espagne s'entend, il les a défendues et consolidées, afin de pouvoir étendre au-delà de la mer ses frontières avants, qui en réalité n'en étaient pas. Si le reste de la Péninsule était bien un terme, une marque, l'océan et ses inconnues n'en furent jamais. Au regard de l'histoire européenne, il est étonnant d'ailleurs, qu'un territoire aussi petit, presque insignifiant, se soit très tôt constitué tête d'empire, et ce bien avant de posséder un empire effectif. Le Portugal historique ne pouvait pas ne pas se dilater, non pas physiquement, mais moralement, spirituellement. L'empire advenu n'est que la médiocre réalisation d'une mythologie d'une richesse exceptionnelle et sans doute unique en Europe. Cette mythogenèse est la source, la condition, et le mobile de l'expansion impériale portugaise; l'expansion, quant à elle, est l'impératif d'un génie propre "borné" par des frontières physiques relatives.

Il en va de nous aussi bien. Notre corps dans ses relatives limites marque une frontière, et ce malgré les amours, les embrassements, et les copulations : nous ne serons toujours que deux corps se rencontrant, mais la frontière physique signalera ici un absolu. Plus assurément que dans le cas d'une nation, notre corps, l'expérience du corps, nous révèlera l'absolu de la frontière morale. Et si nous voulons dépasser le cadre borné de toute frontière nous n'avons d'autre choix, heureusement, que d'instaurer un cadre spirituel qui permettre l'avènement d'une âme dilatée. Et à cette expansion, je ne vois pas de limite.

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