mardi 18 octobre 2011

Esprit es-tu là?

Il m'arrive parfois, certains après-midi, d'aller me poser dans un café où j'ai quelques habitudes. J'y trouve un peu de calme tandis que je contribue à enrichir un patron qui n'en a plus vraiment besoin, mais soit, si ce n'est pas lui cela serait un autre, et puis, sans doute, le calme n'a pas de prix.


Cet après-midi là, dans ce café au nom prédestiné, deux nanas - c'est le premier mot qui me vient aux doigts; celui de "femme" étant resté quelque part dans mon cerveau, bloqué - jouent aux apprenties cartomanciennes. Elles sirotent un thé - vert ou noir, je ne sais pas, mais je penche pour le vert, à moins que ce ne soit un thé rouge, nettement plus tendance- tout en s'exerçant à la devinance. L'une est déjà fort avancée puisque c'est elle qui "forme" l'autre, une autre qui note tout sur un calepin, de manière très studieuse. "Fin de cycle", "nouveau départ", "faire le deuil", le "4 qui est l'amour", le "6 qui est la rupture", la "mort", les "morts", "une femme qui est là", " l'ambivalence", sont les notions qui m'arrivent aux oreilles, et qui sont celles que l'on utilise habituellement dans ce genre de consultations. Il est toujours question de la fin d'un cycle, puisque si vous consulter, c'est que vous en avez un peu marre, que vous traversez un phase critique, que vous arrivez donc à la fin de quelque chose, et comme en cartomancie, comme en numérologie, comme dans l'importe quel discours de devin ou sorcier, le temps est toujours, absolument toujours, c'est un dogme, conçu comme un enchaînement de cycles à n'en pas finir. Oh, il y a des écoles, en fait deux. Celle qui pense que les cycles sont clos sur eux-même et qu'ils sont un peu comme les bracelets qui s'entassent aux poignets de certaines, et l'autre qui croit que les cycles sont en fait une spirale; ils tournent mais avancent tout de même sur une ligne. Ici encore deux écoles, soit la ligne connaît une fin, un jour, soit elle n'en connait point, ressemblant alors à une vis sans fin qui tournerait dans le vide intersidéral. Mais comme nous n'en avons absolument pas conscience, il n'y a pas de réel souci à se faire.


Donc nos sibylles, se racontaient des histoires de chiffres, de mortelles rencontres et de nouveaux départs. "Tu veux encore du thé?" Je parie que si je leur avait demandé les raisons de leur "croyance" elles m'auraient ri au nez, m'assurant sans doute, qu'il ne s'agissait pas là de croyances, qu'elles étaient rationnelles et que tout cela n'était pas loin d'être scientifique. En poussant plus loin, elles auraient dénigré la religion, cet amas de dogmes débiles, la crédulité des fidèles, et que sais-je d'autre du même panier.

Jadis, les prophétesses prophétisaient en sachant que leur "voix" n'étant pas forcément incompatible avec la voix officielle de la religion, elles croyaient à l'une et à l'autre. Aujourd'hui les pythies de tous poils, ricanent de la seconde et sont folles éperdues de la première. Et leurs sectateurs, cartésiens cela va sans dire, chantent la même chanson : de religion point, mais le mystère des nombres - qui n'est autre chose qu'un pythagorisme contemporain et bête- celui des étoiles, et des cartes voilà le vrai. La spiritualité est ainsi réduite à un discours d'une platitude abyssale, un psychologisme archaïque et sommaire, où cycles et départs nouveaux se donnent rendez-vous, pour barrer l'angoisse, angoisse de vivre, angoisse de déjà mourir un peu sur la banquette rouge de ce café où j'ai parfois, l'après-midi, mes habitudes.

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