vendredi 4 novembre 2011

Du blasphème en une société irréligieuse

Théâtre de la Ville : un groupuscule de catholiques lefebvristes - mouvance aux marges du catholicisme, qui recueille un peu tout et n'importe quoi - font  un "sitting" priant et vilipendant : de l'huile de vidange, des œufs pourris croisent les chapelets pour ses insurgés d'un type non-recensé.  Il faut dire que la cause de leur énervement n'est pas chose qui puisse être prise en compte, elle est tout simplement hors-champ, tandis qu'eux croient encore que la France est en régime de chrétienté. D'un côté donc, on tient encore à une chimère, incapable de faire un deuil salutaire, de l'autre, on considère l'objet de la colère comme un non-lieu.

Siège de Charlie-Hebdo : Saccage et dévastation. L'objet de la colère ? Sans doute la une du journal jugée islamophobe. Une "une" moquant la Charia, autrement dit les sources du droit musulman : le clair chemin pour aller dans la voie de Dieu.

Les deux cas peuvent rencontrer des similitudes. Les uns et les autres, les deux groupes de mécontents, invoquent le blasphème. Pour les autres, pour ceux qui sont à l'origine de la colère, la notion même de blasphème n'opère pas.
Chez les mécontents, quoi qu'avec une intensité différente, la violence se fait jour. Au théâtre, par l'interruption de la pièce incriminée, le jet d'huile de vidange et d'œufs et pour Charlie-Hebdo, comme il est de coutume avec islam, les méthodes sont plus radicales. Cependant  l'objet qui suscite la colère  - et la portée symbolique de chacun d'eux - est différent. D'un côté, un visage sali, un visage tenu pour saint, sali, au moins symboliquement, et de l'autre les sources du droit données par Dieu ou supposées telles.


La différence est de taille. Le visage humain du Christ est tenu pour l'ultime signification du divin pour les catholiques. Pour les musulmans, c'est le droit qui, en l'espèce,  est tenu pour divin. On pressent là que cette différence de perceptions fonde une différence culturelle considérable. Et la violence qui découle de la colère de l'un et l'autre groupe est en conformité avec la dérision ou l'importance de l'objet du scandale. Un visage c'est quoi ? Peu et tout. Peu, ce n'est qu'un détail, et tout :c'est le détail qui fait la différence. Au supposé blasphème, on répond en définitive avec des moyens dérisoires. Le droit qu'est-il? Des règles, des règlements, un cadre, une ordonnance et qu'il soit donné par Dieu, ne change rien à l'affaire :  il s'agit de quelque chose de bien relatif (et en ce sens il ne peut être donné par Dieu, ou alors qu'à titre pédagogique, comme la Loi le fut pour les juifs), relatif mais s'il est donné par Dieu il devient absolu. Au supposé blasphème, contre ce qui est considéré comme ordonnance absolue, on répond - si cela est prouvé- par  le saccage d'un immeuble au mépris de la vie de ses habitants.

 Le visage n'est rien. Et il s'agit d'un visage humain, miroir de la transcendance pour certains, quoi alors? Un relatif, hyper-relatif qui dit l'Absolu, sans jamais se départir de son relatif : le Christ n'est qu'un parmi beaucoup. Un détail mais un détail différAnt. Le Droit est tout, le cadre est tout, les prescriptions sont tout, comme est tout le chemin pour le voyageur, il s'agit d'un absolu absolu, surtout quand il est réputé être donné par Dieu. Un visage d'un côté, des règles de l'autre, le relatif absolu d'un coté, l'absolu qui ne peut être relativisé de l'autre. Des œufs pourris là, le feu et le saccage ici.

De blasphème, il ne saurait en avoir que dans une société religieuse. Or, la nôtre ne l'est plus, conséquemment il ne peut être question de blasphème, en tout cas pas pour les auteurs des œuvres en cause. Il peut y avoir irrespect, haine, tout ce que l'on veut mais blasphème aucunement. Nous ne sommes plus en régime de chrétienté et pas encore en régime islamique. Donc, dans la cité, la liberté de parole est de mise, au risque de déranger. Si ce droit existe, un autre lui fait face, celui de répondre, pacifiquement, à ce que l'on juge être une insulte aux convictions morales ou spirituelles. Il faut définir ce que l'on entend par "pacifique" dans une société où l'image tient une place considérable, et où on a l'impression que c'est celui qui crie le plus fort qui a raison. Toujours est-il que le pacifisme en matière d'opinions religieuses commence toujours par entendre la critique qui est faite à ces opinions. Il n'est pas sûr que la pièce en question soit une insulte au Christ, comme il n'est pas sûr qu'elle ne puisse pas ne pas être interprétée comme une insulte. Le problème avec des œuvres comme celle-ci, c'est leur pluralité d'interprétations, cela en fait leur richesse et leur faiblesse. Le cas de Charlie-Hebdo est différent, nous sommes là, de fait, dans la provocation pure et simple, comme il en sera bientôt question avec Golgotha pi-nic. La liberté de la presse, même parodique, la liberté de l'art, la liberté de croire, et de ne pas croire, la liberté de critiquer ce que l'on veut, la liberté de répondre à la critique, la liberté oui, mais que ne justifie aucune violence. Et s'il fallait choisir, c'est encore la position du Christ en son procès qui est la meilleure : "Si j'ai mal parlé, montre-moi en quoi j'ai mal parlé, mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappe-tu?"



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