vendredi 18 novembre 2011

Du jugement de Salomon à la croix du Christ.

Iconographie chrétienne. Puisque d'après Rodrigo Garcia, l'iconographie chrétienne est l'image même de "la terreur et de la barbarie", expression qui est d'une violence inouïe, s'en rend-on compte?, je voudrais, par l'illustration, montrer ce que vaut cette allégation.

Prenons, par exemple, le célèbre épisode du jugement de Salomon. 
 On s'en souvient, deux mères, prostituées, arrivent, aux pieds du roi Salomon, se disputant un enfant. Deux mères, un seul enfant ( un autre enfant, de l'une d'elle, était mort), et toutes deux déclarant que l'enfant est le sien. Le roi donc prononce son jugement : que l'on coupe l'enfant en deux, et que l'on donne une moitié à chacune. Pour nos oreilles, nos yeux modernes, c'est d'une cruauté incroyable et scandaleuse : quelle barbarie !
Pourtant le jugement est équitable : les "mères" arrivent se disputant l'enfant, comme on se dispute un objet quelconque. L'enfant ici n'est plus qu'un faire valoir, ce qui est important pour l'une et pour l'autre, à ce stade du récit, c'est la maternité, pas l'enfant, qui n'est donc, qu'un objet. Salomon entre donc dans le même jeu, il traite l'enfant comme un objet divisible, et son jugement est équitable objectivement : une moitié pour chacune, et que l'on débarrasse le plancher.

Cependant, c'est ce jugement objectivement équitable, qui va dévoilé le fond des cœurs, qui va ouvrir au jugement juste. Si la fausse mère accepte le partage proposé, et donc la mort de l'objet du désir - il ne sera pas à elle, mais il ne sera pas à l'autre non plus - la vraie mère refuse la mort de l'enfant, et préfère que l'on donne son fils à celle qui veut prendre sa place. Si la première sacrifie la maternité en sacrifiant l'enfant, la seconde sacrifie sa légitime et réelle maternité pour que l'enfant ne soit pas sacrifié.

Et c'est là que réside le jugement de Salomon dans ce retournement, dans la brisure formidable du triangle constitué par les deux mères rivales et l'objet de leur rivalité. Salomon dans un premier temps ordonne un jugement selon l'égalité, et spontanément, grâce à la maternité réelle et vivante de la mère authentique qui se sacrifie pour que l'enfant puisse vivre, le jugement réel opère selon ce qui est juste et pas seulement équitable.

Une lecture chrétienne de ce texte (premier livre des Rois, chapitre 3), voit dans la mère réelle et vraie, une figure du Christ. Le Christ accepte de mourir, se sacrifie pour que d'autres puissent vivre. La passion du Christ grâce, entre autres, à ce texte donc, peut être lue en termes de sacrifice pour la Vie. Et ce faisant, la passion intervient comme un jugement, elle met en lumière la violence meurtrière qui sacrifice des innocents en raison d'un désir rival d'objet, et le don de soi pour que d'autres puissent vivre. Les premiers disciples du Christ ont interprété sa mort selon ses termes : don de soi. Il n'y a rien là de "terreur et de barbarie".

L'image ici est une reproduction du Jugement de Salomon de Raphaël (1518), Loggia de Raphaël, Vatican. Salomon est sur son trône, faisant signe à un homme de trancher l'enfant en deux. Cet enfant est encore vivant, tandis que par terre, un autre, plus pâle, est probablement mort. Si rien n'arrête la marche de la justice royale, un autre cadavre viendra se joindre au premier, mais un cadavre divisé, rompu. Les deux femmes sont représentées de manière différente. Celle à la robe verte, les bras en croix, indique et l'enfant que l'on va diviser et l'autre femme. Celle-ci montre le cadavre de l'enfant mort. Si la première, aux bras distendus semble s'émouvoir, la seconde est entièrement tournée vers la mort de ce qui était, sans doute, son fils. Sa douleur lui ayant fait perdre le cœur, elle a tenté de devenir ce que l'autre femme était encore, à savoir mère, en lui dérobant son enfant. Elle regarde la scène mais montre le cadavre. Ses yeux sont sur le futur corps scindé de l'enfant de sa rivale et ses mains indiquent l'objet qu'elle a perdu et le perdant, elle perdit aussi ce qu'elle était devenue : être mère.

Pour terminer, le sacrifice possible de cet enfant, bien sûr, nous fait penser à un autre épisode biblique, largement illustré lui aussi : le massacre des Innocents. Dans cet épisode, il s'agit encore d'un roi, de deux rois même, et de cadavres réels, cette fois. Il en est ainsi dans la Bible et dans l'iconographie chrétienne, un texte en appelle un autre, une image une autre image, et c'est de leur confrontation qu'une intelligence se dégage, qu'un sens se fait jour. La confrontation est critique et nécessaire pour que ni le texte, ni l'image, ne ferment sur eux dans une position idolâtre et folle.

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