mardi 15 novembre 2011

Nous n'avons pas les mêmes valeurs.

La plainte est universelle, presque, constante, quasi, toujours là, bien installée : le capitalisme est une plaie. Soit, nous sommes d'accord, il suffit d'ouvrir les yeux pour voir où cette conception, non seulement du marché, mais du monde, conduit : la surenchère, et la surenchère violente, comme presque toutes les surenchères. Au cœur du capitalisme, il y a la rivalité, cachée sous le nom de concurrence, et que la liberté des marchés, doit maintenir et si possible accroître, pour l'intérêt des consommateur paraît-il ; comme si le capitalisme c'était un peu les petites sœurs des pauvres. Soyons raisonnables !

Donc, oui, le capitalisme est une perversion. Mais alors pourquoi, continuons-t-on à parler de "capital" santé, de "capital" beauté, de "capital" jeunesse, de "capital" soleil même, et j'en passe? Pourquoi donc, si le capitalisme est mauvais, parler comme si tout était capitalisable même les choses les plus abstraites, et même le soleil, ou le vent lui-même ? Il faut croire que le capitalisme est bien ancré en nous, puisqu'il déborde dans le langage.

Autre signe de l'aspect sonnant et trébuchant du discours et de la langue : la valeur, ou plutôt les valeurs. Dans une époque plus que morose pour des raisons, entre autres, de gros sous, de questions boursières, et de dette, parler à tout bout de champ de "valeurs" pour parler de morale, c'est un peu ironique. On disait, il y a peu, "des valeurs morales",  aujourd'hui, on se contente de "valeurs" : "Ah non, je ne ferai jamais cela, j'ai des valeurs !" La première acception de "valeur" renvoie à l'économie, ce n'est qu'ensuite - bien qu'historiquement ce soit l'inverse- que "valeur" s'applique à une attitude morale. Mais aujourd'hui, dans le capitalisme ambiant et assimilé - nous sommes tous des capitalistes- toute la morale s'est réfugiée dans les valeurs. Le "principe" fait trop rigide, parler de "morale", tout simplement, a des relents de catholicisme ringard, voire donneur de leçons, et "éthique" semble n'appartenir qu'à des comités, quand à "vertu", mon Dieu, celle-là, petite ou grande, plus personne n'en parle, elle n'existe plus. Mais il y a toujours les bonnes vieilles "valeurs". "Avoir de valeurs", peut désormais tout aussi bien dire, et souvent de manière contradictoire, que l'on a un coffre-fort bien rempli, que des principes moraux. Le célèbre "nous n'avons pas les mêmes valeurs" joue d'ailleurs sur l'ambivalence, et, en l'espèce, il s'agirait plus de principes de vie bourgeoisement ordonnée de que "principes moraux", des rillettes n'étant pas directement signe d'une éthique.



Il y a quelque chose de symptomatique à entendre ce "valeur" ( mes valeurs, tes valeurs, leurs valeurs, etc.) à tout bout de champ à la télévision et dans la rue. Il est devenu, en effet, le signe d'une morale d'inspiration capitaliste où la liberté et l'autonomie radicale du choix moral sont postulées, sans aucune référence à rien de transcendant, si ce n'est le "moi" (mes valeurs). Aussi de cette illusion fondamentale, découle une rivalité, semblable à la concurrence du marché, puisque chaque "moi" fonde, ou croit fonder de manière strictement autonome "sa" morale. L'on se tient alors dans une espèce de posture du respect des "valeurs" de l'autre, qui n'est en fait qu'une indifférence polie, puisque comme bien souvent "tes" valeurs, ne sont pas "mes" valeurs, l'indifférence instaure une distance qui évite l'affrontement. Dans le "vivre-ensemble", comme on dit si joliment, les "valeurs" concurrentes participent d'une espèce de marché moral qui à tout des caractères du capitalisme que l'on abhorre.

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