samedi 26 novembre 2011

Intégrisme dans quel monde vis-tu? (publié un première fois sur FB)

L'intégrisme catholique ne fait plus parler de lui, et pourtant, sous de multiples avatars, il existe bien, répandant son poison, à la première gorgée si douce, à l'arrière goût amère. ( Il a à nouveau fait parler de lui - en devenant au passage "fondamentaliste" - lors des récentes manifestations à l'occasion d'un spectacle fort décrié.)
L'éventail de "l'intégralisme" est varié : du sedevacantisme aux instituts de vie consacrée directement inspirés des intuitions de feu Mgr Lefbevre, en passant par la Fraternité saint Pie X et, plus largement, par une sensibilité disons ultra-traditionnelle restauratrice. Oh, ces gens-là sont rarement méchants, ils ont des manies c'est tout : les dentelles, les encensoirs, la messe en latin, le rite dit de Pie V, la messe dite de toujours, les bondieuseries, le tissus au mètre, les missels bourrés d'images pieuses, et les cantiques d'autrefois. Certains, mais point tous, loin s'en faut, on aussi des idées politiques en conformité avec leur psychologie rigide, car ce qui caractérise l'intégroïde c'est bien sa psychorigidité, confondant ses sentiments, son esthétisme, sa piété, ses formes de religion, avec la Révélation, la Tradition, et la spiritualité véritable. Pour certains, la manie va plus loin encore, à les entendre, il nous semblerait que le Christ serait d'ascendance française - à moins, comme je l'ai déjà entendu, qu'il ne soit à l'origine des rois de France - qu'il voterait à droite-droite, qu'il parlerait, s'il revenait, latin, serait sans doute habillé d'une soutane, bien coupée, cela va sans dire, portant rochet et brocarts, coiffé, probablement, d'une barrette de docteur. Quel Christ est-ce là?
L'intégrisme catholique c'est un peu Disneyland pour âmes alanguies et pieuses, pour nostalgiques de formes belles - beauté toute relative - pour prêtres attachés à une autorité qu'ils aimeraient pouvoir encore exercer, et dont tout le monde se moque bien ; rapides à vous expédier en enfer, prompts à vous damner, et s'ils vous consolent parfois, c'est à coup de mièvreries, comme l'on donne à un enfant qui pleure un sucre d'orge ou de la guimauve.

Je ne jette pas l'opprobre sur le latin, ni sur le rite de la messe issu du concile de Trente, ni sur les encensoirs, ni même sur la soutane, loin de là, mais il est fort dommage que l'on prenne ce qui n'est qu'une expression relative pour l'essentiel, et que l'on arbore bannières et oriflammes pour partir en guerre contre les autres, les impurs, ceux qui ne comprennent rien, les "progressistes" de tous bords, les pas-blancs, les âmes perdues, les hérétiques... Le Christ est mort nu comme un vers, parlant araméen, l'unique parfum qui l'environnait à cette heure-là, était celui de son sang et de la sueur, l'unique douceur, le bois rugueux de la croix, les uniques chants, les insultes. Voilà le Seigneur qui est le nôtre, et je suis convaincu qu'il n'attache pas tant d'importance que cela aux brocarts et au faste des cérémonies ecclésiastiques, car passeront l'or, l'encens, passeront  les dentelles et les soieries, passeront les cristaux et les babioles des autels, mais ne passera pas la Parole Crucifiée.

J'ai deux amours : mon pénis et Paris

Les années 70 - ahlala les belles années que voilà - nous ont apporté un cadeau magnifique : la libération sexuelle ! Après celle de Paris, la libération sexuelle a été, sans doute, celle qui a compté le plus dans la seconde moitié du XXeme siècle :  le sexe, le sexe outragé, le sexe brisé, le sexe martyrisé, mais le sexe libéré! Il était temps, nous n'en pouvions plus. Il fallait bien que cela arrive, qu'un jour où l'autre le sexe fut rendu à sa liberté. Enfin, la verge était sortie de sa braguette pouvant se montrer sans fausse pudeur ( la pudeur semble toujours fausse d'ailleurs, depuis) et tous les vagins d'occident, ou peu s'en faut, recouvraient une aisance après des siècles d'incarcération, devenant bavards et se mettant à soliloquer.
Dès lors, libéré, le sexe, se devait d'aller partout, de mettre partout son nez, d'aller fureter à gauche et à droite, de s'étaler sur tous les panneaux publicitaires, d'advenir dans tous les discours, bref d'occuper le terrain, tout le terrain, tous les terrains. Le sexe libéré devenait doucement un tyran. Si l'on voulait paraître à la page, il fallait parler cul. Si vous ne vouliez pas donner l'impression d'être rangé dans l'ancien régime des mœurs, il fallait parler cul. Rien n'était désormais plus possible sans le cul. Le cul marquait votre propre capacité de liberté d'esprit. Oui, car c'était de cela qu'il s'agissait : libéré, le sexe, est monté au cerveau, a pris la place de l'esprit.



Depuis rien n'a changé, nous n'avons fait que glisser sur la pente facile du sexe libéré. Il semblerait qu'aujourd'hui lui seul ait une quelconque importance, que lui seul soit le seul vecteur de félicité, à tel point qu'il est, paraît-il, tout à fait impossible d'être heureux sans avoir entre les jambes une machinerie en plein état de marche, et dans la tête sa reproduction mentale, ce que l'on appelle vulgairement le désir. Ce sexe-là est devenu un vrai dictateur qui ordonne, impose, commande, domine. Il veut être partout et toujours, à toute heure, et n'importe comment. Il est tel qu'il réduit tout à lui, rendant tout semblable à lui, de telle sorte que nous ne saurions être autre chose que volonté de puissance ou passivité absolue sous le despotisme de la jouissance. Le sexe fut libéré mais nous somme devenus ses prisonniers enjoints de jouir sans cesse jusqu'à ce que la mort tranche tout.

lundi 21 novembre 2011

Les saints et les héros de l'envie.(publié en son temps sur FB.)

Traduttore traditore. L'adage disait donc ceci que le traducteur était sans doute un traître. Puisque passant d'une langue à l'autre, les mots, fourbes, changeaient de sens. L'adage est périmé aujourd'hui. Parce que les chiffres ont remplacés les lettres, semble-t-il, et que le traîtrise conséquente n'est plus de ce côté là non plus. Au goût du jour d'aujourd'hui, et de l'heure de cette heure - n'ayons pas peur de la redondance - le traître c'est le traider, ou le traideur, ou plus français encore, le courtier. Mais laissons "courtier" au cimetière des mots avec la regrettée "canneberge" et les autres chers disparus. Et le traître à un nom : K. Monsieur K. a écrit un livre. Tiens les chiffres ont besoin des lettres ? Ce livre je ne l'ai pas lu, il y a plus urgent à lire. Mais, en quatrième de couv', comme on dit dans le jargon des éditeurs, on y apprend que K. a fait gagner à la S.G. plus d'un milliard et demi d'euros.
La chose y est présentée comme un exploit digne d'être célébré aux temps sans fin. Un exploit comme ceux d'Hercule ou d'Ulysse. Car M. K., le traider traïtre, est devenu, un héros, un héros comme notre époque les aime, sonnants et trébuchants. Et pour ce qui est de trébucher, M.K., l'a hélas fait, et c'est précisément son "trébuchement qui l'a propulsé dans l'empyrée des héros, aux côtés des starlettes chantantes ou des monstres du cinéma. Voilà le nouvel Olympe, dans lequel le nouveau Zeus-Pater, s'appelle Argent. Ce nouvel héroïsme n'a rien de l'ancien. Celui-ci délivrait, sous le mythe, des vérités assimilables par l'esprit et, d'un certaine façon, invitait à la vertu. Celui-là, crée de manière expéditive le mythe ou le "culte", un mythe manquant cruellement d'esprit, et n'ayant de la vertu que la petitesse.


Les dieux grecs ou latins étaient des masques de notre âme et de ses paradoxes. Les dieux contemporains, les pantins adulés de notre envie. Images de nos images, virtualités de nos virtualité, miroirs de nos multiples miroirs, ils sont ce que nous avons fait de pire, nous-même poussés à la caricature. Il n'y a pas que Rome qui béatifie et canonise, il y a aussi ce courant, fondamental, lourd, pressant, qui porte au pinacle un tel ou une telle, parce qu'elle chante, parce qu'il frappe du pied dans un ballon, parce qu'il brille devant une caméra, mais surtout parce qu'il coule avec lui l'odeur excellente du fric, et celle, qui lui est souvent proche, de la luxure. Je ne parle pas ici du sexe joyeux et, après tout, innocent, mais de ce sexe cynique, obscène, clinquant et scandaleux comme scandaleux est tout le processus de déification moderne. (Le scandalon en grec est la pierre qui fait trébucher et tomber, le scandale c'est l'obstacle sur le chemin). La religion n'est pas toujours où l'on croit.

Un escalier, un obélisque, et la Vierge.

La Présentation de la Vierge au Temple, épisode apocryphe de la vie de Marie, a fait quelques fois l'objet de représentation. Nous allons prendre ici deux exemples fameux. Tout d'abord, la peinture réalisée par Titien en 1539 et qui se trouve à  l'Accademia à Venise.




La scène est représentée de manière linéaire et, suivant le sens habituel de la lecture en occident, de gauche à droite, suit un schéma ascendant, qui du sol, va jusqu'aux prêtres à l'entrée du Temple, la Vierge enfant étant, seule, à mi-chemin sur un palier. Le schéma linéaire est ouvert cependant grâce à la perspective qui entraîne l'œil du spectateur à dépasser le groupe compacte des "figurants" pour fuir dans la nature à l'arrière plan. L'insertion de l'œuvre dans le décor général de la pièce, accentue l'effet théâtral de l'ensemble. Le spectateur assiste à la scène en quelque sorte, comme par une fenêtre, il y a une continuité entre la salle, espace réel, et l'espace du tableau, scène représentée.  Il faut remarquer l'obélisque à gauche. Il s'agit d'un symbole solaire, en réalité la matérialisation d'un rayon solaire, qui apparaît ici de manière assez étrange en réalité.
D'après l'histoire, le personnage jeune, situé en bas des escalier, est la fille du peintre.



Passons au second exemple, le même sujet mais cette fois peint par Le Tintoret en  1565 et que l'on peut voir à l'église de la Madonne dell'Orto à Venise.






Ce tableau a été peint pour décorer les panneaux de l'orgue. Il figure la scène de la Présentation, mais selon un schéma de lecture tout à fait différent du premier exemple. Si dans le premier cas, la perspective nous entrainait vers le lointain, selon les codes en place à la Renaissance, dans ce second cas la perspective nous conduit directement vers le haut, vers le ciel; le geste de la femme au premier plan entrainant sa fille et montrant la figure de la Vierge, accentue évidemment la perspective. Peut-être que Le Tintoret, en hommage à son maitre Titien, cite la première œuvre en racontant la scène depuis le point de vision du personnage du bas des escalier du tableau de Titien.  Les lignes de forces de ce tableau-ci conduisent toutes vers la figure du grand-prêtre, et confèrent à l'ensemble une étrange solennité. La Vierge, doucement auréolée, semble aimantée et fait une "assomption" anticipée. Enfin, on remarquera, à droite cette fois, en répétition presque de la silhouette de la Vierge, l'obélisque que nous avions déjà aperçu dans le premier tableau. On peut ici dés lors, tenter une interprétation de cet élément. Nous l'avons dit, il s'agit d'un symbole solaire, et plus précisément d'une représentation symbolique d'un rayon solaire. Souvent le sommet de l'obélisque était recouvert d'or, pour accentuer sa symbolique. Dans un contexte chrétien, l'obélisque, ce rayon solaire, devient le symbole du rayon du Saint Esprit, qui unit à la Vierge, manifeste l'Incarnation future du Verbe de Dieu. Cet obélisque est donc le signe du Saint Esprit qui "couvrira la Vierge de son ombre".

Enfin un mot sur l'élément architectural de toutes les représentations de la Présentation de la Vierge au Temple : l'escalier. C'est un élément majeur de la symbolique mystique. L'escalier est le signe de l'ascension de l'âme vers Dieu. Cette "montée" se fait pendant le pèlerinage terrestre. Le tableau dont nous parlons avait été peint pour l'orgue, or nous trouvons dans la bible quinze cantiques des montées que l'on chantait lorsqu'on allait en pèlerinage à Jérusalem. L'escalier du Tintoret comporte quinze marche dorées.
L'œuvre du Tintoret est baroque. Sa structure, sa composition (spirale, lignes ascendantes, perspective di sotto in sù, jeux des contraires) sa narration selon l'oxymore sont des marques d'un nouvel esprit. Les corps sont happés par le pouvoir attractif du transcendant, et sont sous l'action de la grâce plus qu'ils ne sont mus par leur volonté propre.


Je termine avec un dernier exemple, en contre-point.



DIPRE Nicolas - La Présentation de la Vierge au Temple, fin du XVe siècle.


L'ambiance est radicalement différente. Plus de foule, mais uniquement Sainte Anne et Saint Joachim. Plus de perspective manifeste, la scène est frontale. Cependant on retrouve la Vierge dans une position surélevée, qui est la position traditionnelle pour ce sujet. Marie n'est plus en terre et n'est pas encore au ciel, elle monte, la Présentation au Temple est ainsi le signe premier de l'ascension de son âme vers le divin. Divin qui ici, contrairement aux autres exemples, reste caché : le prêtre est dans le Temple et non sur le seuil. Marie fait un geste de la main - il s'agit d'une séparation - et Anne lui répond dans cet univers géométrique et étrange, où les ombres ( l'Esprit Saint te couvrira de son ombre) sont autant de volumes.
Il faut, bien sûr, signaler l'escalier, qui par son traitement en spirale, joue un rôle central dans ce tableau : les marches commencent du côté des parents de la Vierge pour ensuite opérer un virage, une conversion. On remarquera qu'il n'y a pas d'obélisque dans cette scène, mais une colonne qui n'a strictement aucune fonction, et qui aurait très bien pu ne pas y figurer. Mais comme l'a très bien montré Daniel Arasse, la colonne, dans la peinture renaissante, est un signe de l'Incarnation.

C'était, une nouvelle fois, une démonstration de la "terreur et de la barbarie" de l'iconographie chrétienne.

vendredi 18 novembre 2011

Du jugement de Salomon à la croix du Christ.

Iconographie chrétienne. Puisque d'après Rodrigo Garcia, l'iconographie chrétienne est l'image même de "la terreur et de la barbarie", expression qui est d'une violence inouïe, s'en rend-on compte?, je voudrais, par l'illustration, montrer ce que vaut cette allégation.

Prenons, par exemple, le célèbre épisode du jugement de Salomon. 
 On s'en souvient, deux mères, prostituées, arrivent, aux pieds du roi Salomon, se disputant un enfant. Deux mères, un seul enfant ( un autre enfant, de l'une d'elle, était mort), et toutes deux déclarant que l'enfant est le sien. Le roi donc prononce son jugement : que l'on coupe l'enfant en deux, et que l'on donne une moitié à chacune. Pour nos oreilles, nos yeux modernes, c'est d'une cruauté incroyable et scandaleuse : quelle barbarie !
Pourtant le jugement est équitable : les "mères" arrivent se disputant l'enfant, comme on se dispute un objet quelconque. L'enfant ici n'est plus qu'un faire valoir, ce qui est important pour l'une et pour l'autre, à ce stade du récit, c'est la maternité, pas l'enfant, qui n'est donc, qu'un objet. Salomon entre donc dans le même jeu, il traite l'enfant comme un objet divisible, et son jugement est équitable objectivement : une moitié pour chacune, et que l'on débarrasse le plancher.

Cependant, c'est ce jugement objectivement équitable, qui va dévoilé le fond des cœurs, qui va ouvrir au jugement juste. Si la fausse mère accepte le partage proposé, et donc la mort de l'objet du désir - il ne sera pas à elle, mais il ne sera pas à l'autre non plus - la vraie mère refuse la mort de l'enfant, et préfère que l'on donne son fils à celle qui veut prendre sa place. Si la première sacrifie la maternité en sacrifiant l'enfant, la seconde sacrifie sa légitime et réelle maternité pour que l'enfant ne soit pas sacrifié.

Et c'est là que réside le jugement de Salomon dans ce retournement, dans la brisure formidable du triangle constitué par les deux mères rivales et l'objet de leur rivalité. Salomon dans un premier temps ordonne un jugement selon l'égalité, et spontanément, grâce à la maternité réelle et vivante de la mère authentique qui se sacrifie pour que l'enfant puisse vivre, le jugement réel opère selon ce qui est juste et pas seulement équitable.

Une lecture chrétienne de ce texte (premier livre des Rois, chapitre 3), voit dans la mère réelle et vraie, une figure du Christ. Le Christ accepte de mourir, se sacrifie pour que d'autres puissent vivre. La passion du Christ grâce, entre autres, à ce texte donc, peut être lue en termes de sacrifice pour la Vie. Et ce faisant, la passion intervient comme un jugement, elle met en lumière la violence meurtrière qui sacrifice des innocents en raison d'un désir rival d'objet, et le don de soi pour que d'autres puissent vivre. Les premiers disciples du Christ ont interprété sa mort selon ses termes : don de soi. Il n'y a rien là de "terreur et de barbarie".

L'image ici est une reproduction du Jugement de Salomon de Raphaël (1518), Loggia de Raphaël, Vatican. Salomon est sur son trône, faisant signe à un homme de trancher l'enfant en deux. Cet enfant est encore vivant, tandis que par terre, un autre, plus pâle, est probablement mort. Si rien n'arrête la marche de la justice royale, un autre cadavre viendra se joindre au premier, mais un cadavre divisé, rompu. Les deux femmes sont représentées de manière différente. Celle à la robe verte, les bras en croix, indique et l'enfant que l'on va diviser et l'autre femme. Celle-ci montre le cadavre de l'enfant mort. Si la première, aux bras distendus semble s'émouvoir, la seconde est entièrement tournée vers la mort de ce qui était, sans doute, son fils. Sa douleur lui ayant fait perdre le cœur, elle a tenté de devenir ce que l'autre femme était encore, à savoir mère, en lui dérobant son enfant. Elle regarde la scène mais montre le cadavre. Ses yeux sont sur le futur corps scindé de l'enfant de sa rivale et ses mains indiquent l'objet qu'elle a perdu et le perdant, elle perdit aussi ce qu'elle était devenue : être mère.

Pour terminer, le sacrifice possible de cet enfant, bien sûr, nous fait penser à un autre épisode biblique, largement illustré lui aussi : le massacre des Innocents. Dans cet épisode, il s'agit encore d'un roi, de deux rois même, et de cadavres réels, cette fois. Il en est ainsi dans la Bible et dans l'iconographie chrétienne, un texte en appelle un autre, une image une autre image, et c'est de leur confrontation qu'une intelligence se dégage, qu'un sens se fait jour. La confrontation est critique et nécessaire pour que ni le texte, ni l'image, ne ferment sur eux dans une position idolâtre et folle.

La perversion de l'image chrétienne.

Allez, c'est reparti pour un tour. Un tour sur scène, un tour dans la rue, un tour dans les journaux. De quoi donc s'agit-il? Et bien d'un côté, une très attendue nouvelle provocation artistique aux relents christophobes (car en l'espèce c'est de cela qu'il s'agit) et de l'autre côté, en réplique légitime, l'agacement des catholiques intégristes ou non. L'objet du scandale "Golgota Picnic" du Rodrigo Garcia. Voici la petite présentation qu'en donne le théâtre du Rond-Point qui a eut l'heur de programmer cette pièce

"C’est que tout fout la trouille mes amis ! Faut voir l’état des toilettes publiques !
Partout sur le sol, des hamburgers. Jésus est passé par là, il a multiplié les pains. Le Christ, qu’on appelle ici « el puto diablo », finira par voir sa plaie ultime de crucifié remplie de billets de banque. Plasticien, orchestrateur d’images chocs et de tableaux vivants aux provocations assumées, Rodrigo García interroge le monde et ses modèles, bouscule le cours de l’Histoire et de ses mythes. Toutes mesures dépassées, il fait du Messie et de ses acolytes une proie idéale. Machine de guerre lancée contre un monde d’hyperconsommation bovine, Golgota picnic met en scène une crucifixion tragique et trash. L’artiste démontre avec toutes ses armes que l’iconographie chrétienne est pour lui l’image même de la « terreur et de la barbarie ».
Dans cette épopée drôle, décalée, débordante, Jésus devient la cible, lui qui « multiplia la nourriture pour le peuple au lieu de travailler avec lui ». Le chef d’orchestre italien Marino Formenti vient interpréter la partition intégrale pour piano des Sept Dernières Paroles du Christ sur la croix de Joseph Haydn. Apaisement possible dans une fresque grandiose, scandaleuse et agitée. Après Versus, ou Et balancez mes cendres sur Mickey au Rond-Point, Rodrigo García et sa bande de fous furieux espagnols déchiffrent les évangiles à la machette. Ils font tomber des murs d’angoisses et de culpabilités héritées. Performeurs, danseurs, vociférateurs, anges chutés (sic) du ciel ou provocateurs enragés, ils s’attaquent aux peurs de deux mille ans de christianisme."

La seule chose sur laquelle, j'aimerais revenir est cette affirmation : " L’artiste démontre avec toutes ses armes que l’iconographie chrétienne est pour lui l’image même de la « terreur et de la barbarie ». Il démontre. Donc, nous sommes dans une œuvre qui entend démontrer quelque chose et qui y parvient : "il démontre". Et que démontre-t-il? Que l'iconographie chrétienne est l'image même de la terreur et de la barbarie. Voilà donc la portée métaphysique de la pièce : l'iconographie chrétienne est l'image de la terreur et de la barbarie. Autrement dit l'iconographie chrétienne est perverse, car ce qu'elle prétend montrer, cette iconographie, c'est, ce que l'on appelle en termes théologiques, l'économie du salut : un Dieu fait homme, petit enfant, mourant comme nous et ressuscitant. L'iconographie chrétienne entend montrer cela, cette destinée particulière, individuelle, singulière, d'un homme, qui, pour le christianisme, porta en son expérience humaine, la destinée de beaucoup. Mais Rodrigo Garcia juge que c'est tout le contraire, plutôt que d'être l'image de cette communion  et cette communication entre un seul et tous, l'iconographie chrétienne n'est rien de moins que l'image de "la terreur et de la barbarie". Le thème a le mérite de ne pas être original. Et il évoque même, sauf son outrance, les querelles iconoclastes.

Que l'on me permette de rappeler ici le vif débat qui opposa au VIIIe - IXe siècle opposa les tenants de l'iconoclasme et de l'iconodulie. Pour les premiers, la représentation du Christ et des saints était illégitime, pour les seconds elle était légitime, étant donné que le Verbe, avait pris chair. Si Dieu invisible s'est manifesté visiblement dans le Christ, par une chair semblable à la nôtre, il devenait alors permis de représenter cette manifestation. La crise s'est conclue en faveur des iconodules, ce qui garanti ensuite l'expansion de l'art occidental, qui trouve dans cette crise le moment fondateur de sa possibilité tel que nous le connaissons. Autrement dit, si Rodrigo Garcia, peut aujourd'hui représenter sa pièce sordide, et iconoclaste - et c'est son droit, après tout - dans un théâtre financé, en partie par des fonds public et donc l'argent des catholiques - et c'est leur droit de rouspéter- c'est en raison même de la possibilité de l'iconographie chrétienne. Sa pièce qui est une critique abjecte à l'image chrétienne - et donc un iconoclasme mais sous le mode pervers - lui doit beaucoup plus qu'il ne le pense.

Présenter unilatéralement le christianisme sous le mode de la terreur, de la barbarie, de la peur, des peurs, de la culpabilité, c'est opérer une réduction expresse, laissant de côté, soit par ignorance, soit volontairement, des aspects capitaux qui relativisent fortement une telle lecture basique et toujours la même d'ailleurs : la religion est le début de tous les maux.



On voit d'ailleurs ce que donne un monde duquel le christianisme est absent ou presque ; on aurait pu s'attendre, si on en croit les contempteurs, que le monde serait devenu plus sage, paisible, civilisé, mais, étrangement, ce n'est pas le cas du tout. Sans l'iconographie chrétienne, la croix en tête, et bien on devrait avoir un monde de confiance et d'amour s'ouvrir devant nous. Pourtant, il ne semble pas que ce soit cela précisément qui advient. Les iconoclasmes se sont toujours accompagnés de violence, et la pièce incriminée en est une, en quelque sorte. Un monde sans image, c'est-à-dire sans la possibilité d'une réflexivité, d'une médiation, conduit à la violence. L'image chrétienne qui met au cœur de son réseau  iconographique la mort d'une victime innocente dans le don maîtrisé de sa vie, dévoile la caducité de toutes les violences, de tous les bous émissaires, et l'innocence de toutes les victimes. La croix, aux yeux chrétiens, n'est pas la représentation d'une torture, mais le signe du don et du par-don. Bien sûr, une telle lecture demande la conversion de la foi, mais cela est une autre histoire, mais que cela soit une autre histoire n'invalide pas l'interprétation chrétienne.
Si "Golgota Picnic" démontre quelque chose c'est que la négation de l'aspect anthropologique de l'image - dont Rodrigo Gracia se moque comme de son premier burger- révélé par l'iconographie chrétienne (cette science de l'image que le christianisme a élaboré, depuis plus de 1100 ans,  avec la participation d'artistes de tous bords et de toutes sensibilité, science de l'image qui est aussi une science de l'homme et sur l'homme) entraîne une espèce rare de  barbarie. L'image, et l'image chrétienne en particulier, si on sait la lire, nous apprend quelque chose sur ce que nous sommes en tant qu'homme, et cette image est gardienne d'humanité.

A Rodrigo Garcia et à ses orgies mcdonaldiennes, je préfère de loin la lecture que fait René Girard des récits de la passion, y apportant sans doute moins de visuel provocateur, mais plus d'intelligence et de largeurs de vues. Rodrigo Garcia, c'est facile après tout !

mardi 15 novembre 2011

Nous n'avons pas les mêmes valeurs.

La plainte est universelle, presque, constante, quasi, toujours là, bien installée : le capitalisme est une plaie. Soit, nous sommes d'accord, il suffit d'ouvrir les yeux pour voir où cette conception, non seulement du marché, mais du monde, conduit : la surenchère, et la surenchère violente, comme presque toutes les surenchères. Au cœur du capitalisme, il y a la rivalité, cachée sous le nom de concurrence, et que la liberté des marchés, doit maintenir et si possible accroître, pour l'intérêt des consommateur paraît-il ; comme si le capitalisme c'était un peu les petites sœurs des pauvres. Soyons raisonnables !

Donc, oui, le capitalisme est une perversion. Mais alors pourquoi, continuons-t-on à parler de "capital" santé, de "capital" beauté, de "capital" jeunesse, de "capital" soleil même, et j'en passe? Pourquoi donc, si le capitalisme est mauvais, parler comme si tout était capitalisable même les choses les plus abstraites, et même le soleil, ou le vent lui-même ? Il faut croire que le capitalisme est bien ancré en nous, puisqu'il déborde dans le langage.

Autre signe de l'aspect sonnant et trébuchant du discours et de la langue : la valeur, ou plutôt les valeurs. Dans une époque plus que morose pour des raisons, entre autres, de gros sous, de questions boursières, et de dette, parler à tout bout de champ de "valeurs" pour parler de morale, c'est un peu ironique. On disait, il y a peu, "des valeurs morales",  aujourd'hui, on se contente de "valeurs" : "Ah non, je ne ferai jamais cela, j'ai des valeurs !" La première acception de "valeur" renvoie à l'économie, ce n'est qu'ensuite - bien qu'historiquement ce soit l'inverse- que "valeur" s'applique à une attitude morale. Mais aujourd'hui, dans le capitalisme ambiant et assimilé - nous sommes tous des capitalistes- toute la morale s'est réfugiée dans les valeurs. Le "principe" fait trop rigide, parler de "morale", tout simplement, a des relents de catholicisme ringard, voire donneur de leçons, et "éthique" semble n'appartenir qu'à des comités, quand à "vertu", mon Dieu, celle-là, petite ou grande, plus personne n'en parle, elle n'existe plus. Mais il y a toujours les bonnes vieilles "valeurs". "Avoir de valeurs", peut désormais tout aussi bien dire, et souvent de manière contradictoire, que l'on a un coffre-fort bien rempli, que des principes moraux. Le célèbre "nous n'avons pas les mêmes valeurs" joue d'ailleurs sur l'ambivalence, et, en l'espèce, il s'agirait plus de principes de vie bourgeoisement ordonnée de que "principes moraux", des rillettes n'étant pas directement signe d'une éthique.



Il y a quelque chose de symptomatique à entendre ce "valeur" ( mes valeurs, tes valeurs, leurs valeurs, etc.) à tout bout de champ à la télévision et dans la rue. Il est devenu, en effet, le signe d'une morale d'inspiration capitaliste où la liberté et l'autonomie radicale du choix moral sont postulées, sans aucune référence à rien de transcendant, si ce n'est le "moi" (mes valeurs). Aussi de cette illusion fondamentale, découle une rivalité, semblable à la concurrence du marché, puisque chaque "moi" fonde, ou croit fonder de manière strictement autonome "sa" morale. L'on se tient alors dans une espèce de posture du respect des "valeurs" de l'autre, qui n'est en fait qu'une indifférence polie, puisque comme bien souvent "tes" valeurs, ne sont pas "mes" valeurs, l'indifférence instaure une distance qui évite l'affrontement. Dans le "vivre-ensemble", comme on dit si joliment, les "valeurs" concurrentes participent d'une espèce de marché moral qui à tout des caractères du capitalisme que l'on abhorre.