mardi 28 septembre 2010

Dévoilement

Elles s'en vont par les villes, bâchées de noir, voilées de deuil; elles s'en vont, femmes sans visage, sans traits, pleureuses de je ne sais quelle mort, plus aucune forme, si ce n'est la forme unique fantomatique que leur donnent les métrages de drap. Vestales obscures, elles vont vers un paradis où elles ne seront même pas comptées - je n'invente rien, c'est écrit !- un paradis fait pour leurs pères, leurs oncles, leurs frères, pour ceux qui, entre les jambes, peuvent exhiber les attributs d'une indéniable virilité, c'est-à-dire, les signes les plus efficaces d'une humanité à laquelle ils appartiennent à part entière; un paradis pour ceux qui entre leurs jambes à elles, ont planté ou planterons, ferme et dure, la hampe de leur masculinité victorieuse, faisant d'elles des mères grasses, allaitantes aux mamelles lourdes, des faiseuses, si possible, de petits rois mâles. Elles glissent - librement disent certaines, j'en doute, ou alors elles concourent à leur propre esclavage, ce qui est possible; et pas de pire esclave que celui qui l'est librement - ensevelies sous la nuit des voiles, vers un paradis illusoire où leur mâle de progéniture sirotera des nectars, amusées par des vierges à l'hymen miraculeux : perforable à l'envi, toujours intact - je n'invente rien c'est écrit. Un jardin de délices - enfin- où il n'est même pas question de Dieu, un Dieu cependant pour lequel elles se couvrent, et disparaissent dans ce veuvages perpétuel, une divinité de tribus patriarcales, une divinité qui, s'il elle existait, il faudrait haïr. Car quel Dieu pourrait être aimé qu'il condamne à cette vêture de ténèbres cette partie de l'humanité qui connaît les menstrues? Quel Dieu pourrait être aimé qu'il ordonne cette part de l'humanité sans barbe à une longue et anonyme nuit? Mais il est vrai qu'il ne s'agit pas ici d'amour, il est question de soumission. Tous soumis à Dieu qui ordonne, les femmes aux hommes, et les hommes entre eux.




Et j'entends l'Apôtre des Gentils - c'est-à-dire de nous autres en des temps plus anciens- proclamer : "Il n'y a plus ni juifs, ni grecs, ni hommes ni femmes, ni esclaves ni hommes libres".
Certes nous avons frappé du signe de la croix des murs de haine que nous avons érigés malgré le cri de l'Apôtre, nous avons frappé du signe de la croix les machines de tortures de l'inquisition, nous avons marqué du signe de la croix de multiples ségrégations, mais cependant, contre nous, nous accusant, demeure la parole de l'Apôtre. Nous avons contre nous la croix qui nous accuse, nous avons contre notre propre barbarie le commandement unique " Aimez-vous les uns les autres". Puisqu'ici il s'agit bien de cela, d'amour et pas de soumission : "Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis".

Chaque homme, chaque femme, à droit à montrer son visage, à le droit à devenir quelqu'un au yeux d'un autre, par son visage, on ne peut faire autrement. Empêcher cela, constitue un crime contre l'humanité. Montrer son visage c'est acquérir une personnalité. Nous sommes et demeurons, qu'on le veuille ou pas, qu'on le sache ou pas, une civilisation du visage et du visage libre. Au delà du désir, au-delà du sexuel. Le voilement du visage ne saurait constituer une barrière au désir. Et au désir de qui, comme si c'était le seul existant : le désir mâle. On cache pour ne pas laisser place au désir, d'autres cachent pour susciter le désir. Et sous le sceau sacrosaint de la religion, se trame ainsi l'histoire archaïque du désir et de la soumission. L'homme du croissant aurait-il peur de lui-même qu'il tienne à garder ses femmes voilées? L'homme de la soumission aurait-il tant peur de lui qu'il se fasse de Dieu une image si peu libérée?
Et que dire des femmes? Elles participent à leur propre mise au ban. Elles imitent les hommes dans leur façonnage de la divinité qui ordonne, commande et condamne.
Dévoilement. Dévoilement général. Dévoilement - Apocalypse en grec.

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