vendredi 24 septembre 2010

Le vrai Homme au bain

Genet, hélas, est mort, et morte avec lui sa poésie. Morte aussi une certaine idée de la marge, une certaine idée des normes, un certaine idée de la critique aussi. En notre époque, qui se veut et transgressive et subversive, où pléthore d'artistes, surtout, de journalistes, d'écrivains, de cinéastes, se posent en modèles de la transgression du prétendu discours majoritaire, de la prétendue pensée dominante, il est triste de constater que la subversion ressemble, à s'y méprendre, à une couille molle, un spaghetti trop cuit. Car quoi ? Que transgresse-t-on? La pensée dominante? Mais qu'est-elle, sinon ce discours de la transgression lui-même? Tout le gratin artistico-médiatico-culturel ne parle que de transgression, tant et si fort, que l'on peut émettre de sérieux doutes sur la possibilité même de transgresser, et sur sa véritable portée.
Commençons par dire qu'être transgressif, n'est absolument pas nécessaire. Il n'y a aucune urgence, ni aucun impératif à la transgression, et d'ailleurs dès qu'impératif il y a, il faut parier que la transgression perd et de sa force et de sa pertinence.

Etre transgressif aujourd'hui c'est exiger la conformité à la majorité : ainsi de certains homosexuels qui exigent le droit au mariage, et, pour parodier Louise de Vilmorin, ils sont bien les seuls, à une époque où le mariage bat de l'aile, avec quelques prêtres catholiques, à l'exiger.

Etre transgressif aujourd'hui, peut être, par exemple d'aller quérir une "star" - triste étoile que voilà - du porno, et d'en faire un comédien. Comédien qui gardera de ses performances pornographiques quelque chose, comme une aura, aura qui rejaillira, par mimétisme, sur la pornographie elle-même, en faisant un objet culturel comme un autre, avec la même portée. Le film jouissant de la pornostar - c'est une notion à part entière - se verra doté d'une aura sulfureuse, et par ricochet, le porno se verra auréolé d'une branchitude décalée, très-tendance-tu vois-quoi-enfin-je-veux-dire; alors que le porno ne sert à rien sinon à vous émoustiller dans une solitude relative, il n'a besoin pour cela ni d'être ou ne pas être chic. Bref, être transgressif, c'est bobotifier le porno puisque ses étoiles sont devenues filantes, passant d'une scène de sodomie bien sentie à la sensibilité tout artistique de scènes que le "porno n'autorise pas" (dixit Inrockuptibles). A moins qu'il ne s'agisse de l'inverse, de pornographier tout le réel. Mais le réel n'a pas besoin de cela, il est - en tant que réel- déjà pornographique, et vouloir le pornographier pour le pornographier, comme une pornographie au carré, c'est tomber dans la préciosité, dans la pose artificielle, la branchitude encore. Vous parlez d'une transgression ! La transgression oui, c'est de bourgeoisifier tout, de faire de tout un objet d'art, de tout faire entrer dans les salons, de faire les bénis oui-oui culturels, de s'extasier devant un crotte de lapin montée sur broche. Il semblerait que la production artistique et culturelle contemporaine agirait comme un grand mixeur duquel sortirait toujours le même jus, un bouillon plus précisément, fade, faussement subversif, juste assez bon pour faire frissonner le néo-bourgeois.

Ah, nous sommes loin de Genet. Nous sommes mêmes aux antipodes. Et nous eûmes préféré lui voir écrire, à lui, un Homme au bain, plutôt que de nous farcir l'anatomie taurine - belle bête cela étant - de la supernova du X. 

En réalité, la transgression, le geste qui se veut transgressif, se double donc d'une volonté de conformité. Dans le même mouvement, je me conforme et je transgresse; je transgresse en me conformant. La transgression agit comme le truchement de la conformité. Cette conformité, cette unanimité dans la pose transgressive, est en partie fondée sur une critique des valeurs tenues pour bourgeoises et conservatrices. Mais, critiquant on fonde un nouveau corpus de valeurs qui deviennent elles aussi, par contamination, néo-bourgeoises.

La critique néo-bourgeoise est en quelque sorte fascinée par la culture bourgeoise. Elle est dans un rapport de fascination et de rivalité avec le modèle culturel qui l'a précédée. Aussi bien, la pose transgressive est nécessaire pour se démarquer, et se démarquant toujours impérativement, la culture néo-bourgeoise, fonde un discours globalisant dominant, qui imite par son impérialisme, son uniformité, sa dictature du bon goût, sa manie de ce qui est "in", sa contemporanéité haussée en catégorie transcendantale, son inlassable branchéitude - ce qui est une version néo-bourgeoise du bon goût - tout un monde prétendument bourgeois et conservateur, mais qui a disparu depuis longtemps.



Quand Caillebotte, peintre du réel, peignait son Homme au bain, comme il peignait les toits gris-bleu de Paris, il était plus subversif que Honoré, sans pour autant recourir à la pornographie, même pas par citation. Le naturalisme de la scène, sa pudeur - homme de dos, rideaux tirés, scrotum à peine apparent- donne à la peinture une force, à laquelle elle n'atteindrait pas si les rideaux avaient été ouverts et si l'homme exhibait ses organes génitaux. Certes nous sommes mis en quelques sorte dans la position de voyeur, mais la similitude avec la pornographie n'est qu'apparente. Nous ne sommes pas ici dans un artefact de l'acte sexuel, il n'est absolument pas évoqué. Nous surprenons un homme étant sorti du bain. Le réel est représenté dans sa trivialité - son caractère naturellement "pornographique" - sans qu'il soit nécessaire de le doubler d'une provocation supplémentaire, il est assez provocant comme cela. Notre position est plus celle d'un voyant que d'un voyeur, nous constatons, et le constat c'est la force d'évocation du réel, la force qui s'en dégage. Trois couleurs essentiellement : blanc, bruns et orangé, avec quelques touches de noir, suffisent à la performance. Ce qui est admirable, c'est la symphonie des blancs : des rideaux clos, à la chemise froissée par terre, en passant par la serviette enveloppant le corps du personnage. Comment ne pas voir, une évocation de la mort, et de sa propre symphonie de blancs : draps mortuaires, suaires, chairs, cierges. La force de cet Homme au bain est dans sa pudeur virile, dans la simplicité du réel et dans sa portée méta-imaginale. Le bain du quel il est sorti, qu'est-il?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire