mercredi 22 septembre 2010

Le Portugal comme figure de l'Europe

Nous y étions forcés. Comment aurait-il  pu en être autrement? Voilà que, par un effet du sort ou de la Providence, un territoire nous était donné. Un bout de terre que, malgré nous, nous avons vu apparaitre comment étant nôtre. Pour tout dire, nous sommes apparus avec elle, chemin faisant, les frontières se dessinant nous nous dessinions de même. Aussi nous avons toujours le visage de la nation. Nous et elle, nous sommes nés au même moment, d'une conquête, elle arrachée à d'autres et nous arrachés au néant. Nous avons surgi comme surgissent les blés d'une terre retournée par l'épée. Mais pas seulement par elle, pas seulement.
Aussi nous étions forcés de nous tenir, pour ainsi dire, collés à elle, de nous identifier à elle, de nous confondre avec elle. Hors d'elle, nous n'étions pas. Hors d'elle, il n'y avait rien, sinon l'autre. Un autre qui, comme toujours, fait peur.
Et pourtant, c'est bien vers cet autre-là que nous sommes allés. Pas seulement l'autre qui nous ressemblait, le prochain, celui qui se trouvait derrière la frontière, qui, en quelque sorte, avait eu un destin au nôtre pareil, non pas, mais vers l'autre absolument, tellement autre que nous ignorions jusqu'à son altérité, jusqu'à son existence.
Embraquant pour l'autre, nous embarquions aussi pour l'ailleurs. Un ailleurs voulu pour lui-même, cherché en lui-même, comme quelque chose de bon, comme une bonne et désirable chose. Nous sommes partis vers l'ailleurs, en des jours où la mer était encore l'obscure résidence de tous le démons, où la mer était encore l'insupportable territoire du vide, tant il est vrai que l'ailleurs passe par le vide à soi.

Confusément nous comprenions tout cela, nous qui avions été tirés du vide, et qui du vide éprouvions une nostalgie fondamentale. L'autre que nous trouvâmes nous rendit à nous-mêmes, à notre vocation. Et qu'est-ce qu'une vocation, si ce n'est de devenir ce que nous sommes ? Nous sommes devenus Portugais enfin ! Tissant sur l'instabilité des eaux profondes une trame où vide et plein, hommes et Dieu, ailleurs et ici, se mêlait, en une synthèse pour la première fois apparue. La Providence, ou le sort, nous plaça à la pointe de l'Europe, comme une figure de proue au devant d'un navire, nous avons gardé les yeux ouverts, et avons accompli le geste qui nous était destiné. Nous avons offert des mondes à l'Europe, pour reprendre Camoêns. Nous avons été Européens et mondialiste avant l'heure, prophétiques, comme nous l'étions souvent, dans notre folie mystique.

En nous, dans notre histoire, petite, l'Europe a trouvé une figure, une métaphore. Et le poète à raison de dire que les autres ne sont pas Européens puisqu'ils ne sont pas Portugais. Ce n'est pas là chauvinisme ni une espèce de nationalisme suspect, mais l'énonciation d'une énigme. Pour être Européen il faudrait être Portugais?
Oui, mais être Portugais dans ce qu'être Portugais a de plus fondamental. De même, il faut être Français, ou Italien, ou Espagnol, dans ce qu'être cela a de plus fondamental. On ne saurait être Européen uniquement dans les limites des contingences imposées par notre carte d'identité. Nous devons tenir à cette position crucifiante, à savoir être et ne pas être ce que nous sommes. Notre identité, dés lors, ne saurait se récapituler toute entière dans la nationalité, mais en même temps elle ne saurait subsister sans elle. Etre Portugais, fait partie de mon identité, la constitue même, pour une part, non pas tant, comme la réponse administrative à la question nationalité?, mais comme la participation à une manière spécifique d'être Européen et habitant du monde. Cette manière spécifique d'être, n'est pas plus que moi, close sur elle-même, elle est ouvert, puisque comme dit un autre de nos poètes, l'universel c'est le particulier sans les murs. Qui voudrait être universel sans être particulier se tromperait, qui voudrait être particulier avec des murs, errerait. Aussi, la grande leçon portugaise, est d'avoir montré que l'on pouvait être universel, personne ne l'a été comme nous, et particulier, rares sont ceux qui le demeurent comme nous. En ce sens, et en ce sens là seulement, oui, l'Europe est appelée est devenir portugaise, une espèce de cinquième empire, comme le projetait certains de nos poèmes, prophète et prêtres.

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