mardi 28 septembre 2010

Voilement

On peut, parfois, avoir la fâcheuse impression que le voile ne concerne que l'islam. Or, a y regarder de plus près, ce drap nous concerne tous.

La fonction du voile est multiple. Il cache ce qui ne peut être montré sous peine d'indécence. C'est le cas du périzonium du Christ en croix, car si l'on voulait représenter la scène de manière réaliste, il faudrait que le corps du supplicié fut nu, ce qui est rarissime dans l'histoire de l'art (quelques cas existent).


Au contraire, un linge, plus ou moins court recouvre, les parties, décrétées honteuses, parfois avec de savants plis, mettant en évidence un phallus toujours présent, mais toujours caché, nous invitant par là à considérer que désormais, en régime chrétien, le phallus c'est le Christ dans tout son corps "erectus" au matin de la résurrection. Pour rester dans cet instant de la mort de Jésus, il faut faire une allusion au voile du Temple qui à cet instant où l'Esprit est remis, se déchire de haut en bas. Ce voile séparait le saint, du saint des saints. Par la mort du Christ le voile est définitivement déchiré, l'accès au saint des saints est libre, ou mieux, il n'existe plus, il est désormais ailleurs.

Dans les scènes de la passion, le visage du Christ est parfois voilé. Comme dans cette peinture d'un anonyme portugais, où attaché, le Christ a son visage à demi recouvert d'un voile.

Cette représentation ne correspond à aucune donnée scripturaire. Voilé, le Christ est cependant nimbé, et richement. Nous est ainsi signifiée l'impossibilité de voir la gloire divine, dans le moment de sa kénose, de son abaissement. De plus ce voile, renvoie déjà par anticipation au suaire de l'ensevelissement. Il dit donc à la fois la transcendance et la finitude, la mort et la gloire.

Se cacher le visage, ou se couvrir la tête est dans la tradition juive le signe de se tenir dans la présence de Dieu, qu'on ne saurait voir, ou alors de dos comme Moïse au Sinaï. Dans la langue courant "se voiler la face" est devenu synonyme de ne pas vouloir voir, cependant dans la tradition religieuse se couvrir le visage est synonyme de ne pas pouvoir voir, car ce qui devrait ou voudrait être vu ne le peut pas par nature. Le voile symbolisme cette impossibilité fondamentale.

Bien qu'utilisé dans le judaïsme, le voile semble être apanage des femmes. Il est intéressant de noter ce glissement de signification. L'homme juif l'utilise dans son intimité avec Dieu, pour manifester la présence de la Gloire qui ne peut être vue sans mourir, l'homme se cache du Dieu caché. Voilée, la femme à son tour se cache, mais de qui? Dans le judaïsme la femme n'est pas tenue d'user d'un châle de prière pendant les rites, c'est-à-dire dans les moments solennels de la prière. Elle peut et même doit dans le judaïsme orthodoxe être couverte dehors et à la maison, c'est-à-dire dans le domaine publique et domestique. Il semblerait donc que sa fonction serait de transposé le religieux dans ses deux sphères profanes, par le truchement du voile. La situation est similaire dans l'islam.

La femme, réputée plus proche de la nature, doit, par le voilement, insufflé du religieux dans des univers normalement régit par les hommes. Elles symbolisent ainsi aux yeux des hommes, la présence du divin, mais aussi le refoulé du sexuel en dehors de toutes les sphères de la vie. Mais cachant le voile fait désirer plus encore. Le rôle de la femme est donc de manifester le divin, son impossibilité à l'atteindre, de clore le désir et de le susciter mais d'une manière quasi sacrée. Osons : la femme devient à la fois un tabou et un totem.

Dans le christianisme, qui a toujours séparé profane et sacré : à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César, les femmes elles-aussi se sont couvertes ou se couvrent, mais, différence essentielle, dans des situations qui n'ont rien à voir avec la vie profane. D'abord dans le contexte de la vie religieuse, où prise de voile est synonyme de consécration explicite et exclusive à Dieu, où le voile signifie précisément la sortie de la sphère profane.

Ensuite dans le cas du mariage, où le voile signifie une autre consécration, à dimension religieuse aussi, la consécration au mari. Ce signe probablement issu d'un usage profane et culturel, est devenu un signe religieux à usage limité dans le temps et l'espace.

Enfin, dans le cas, aujourd'hui éteint, du voile pendant les offices : les femmes se couvraient la tête tandis que les hommes restaient tête nue. On peut voir là les restes d'influences culturelles assez fortes. En présence d'un supérieur, l'homme se découvre, par pudeur la femme se couvre.

Ainsi, le sacré et le voile ont toujours eu partie liée. Mahomet est souvent - pour les cultures musulmanes qui autorisaient sa représentation - la face voilée, primo pour signifier une fois encore le sacré, et secundo pour respecter, tout de même, l'interdiction de la représentation de la figure humaine.

Le prêtre dans l'Eglise catholique utilise encore de nos jours - bien que rarement- pendant les bénédictions du Saint-Sacrement, un voile dit huméral, qui lui recouvre donc les épaules, et avec lequel il enveloppe le ciboire ou l'ostensoir contenant les hosties consacrées, sacrement de la Présence Réelle pour un catholique.

Le voile n'est donc pas propre à l'islam. Il ne tombe pas comme ça dans un univers dénué de signification vélaire, au contraire. Ce qui est gênant dans l'approche musulmane du signifiant "voilé" c'est la portée symbolique de celui-ci. Si pour nos cultures de fondations chrétiennes le voile est exclu de la sphère profane et publique, pour la culture musulmane, le voile fait partie à part entière de la sphère publique et celle-ci du monde sacré.Tout le malentendu est là.

Lorsque nous voyons une religieuse voilée - fait de plus en plus rare- nous savons instinctivement que cette femme-là, symboliquement, n'appartient plus à la sphère profane; lorsque nous apercevons des femmes musulmanes voilées - faudrait user du bon vocabulaire d'ailleurs, et arrêter de parler de burqua - (fait de plus en plus courant), ce qui nous gênent c'est qu'elles sont partie prenante de la sphère profane et publique, c'est cette intrusion sans nuance du religieux dans une sphère que nous voulons garder profane qui nous dérange.

Deux visions des rapports entre sacré et profane entrent en débat. La nôtre qui tient le voile pour une exception et un signifiant strictement réservé au religieux, qui est strictement distinct du profane, et une autre, qui tient le voile pour un signifiant religieux permanent dès que l'on est dans le publique, qui ne saurait être autre chose que sacré. Pour le dire autrement, notre civilisation sépare le profane et le sacré, la civilisation issue de l'islam, les unis fortement, il n'y a pas de distinction réelle.

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